AFERIM ! de Radu Jude
Film recommandé

Aferim !

Radu Jude

Distribution : Eurozoom

Date de sortie : 05/08/2015

Roumanie / Bulgarie / République Tchèque - 2015 – 1h45 – N & B / 2.35 / 5.1

1835. Un policier et son fils parcourent la campagne roumaine à la recherche d’un esclave gitan accusé d’avoir séduit la femme du seigneur local.
Tel un shérif d’opérette chevauchant dans les Balkans sauvages, le fonctionnaire zélé ne perd pas une occasion d’apprendre à son rejeton le sens de la vie. A grands coups d’insultes grivoises, proverbes ridicules, morale bigote, humiliations gratuites, menaces et autres noms d’oiseaux, Costandin affiche son mépris des femmes, enfants, vieillards, paysans, juifs, turcs, russes et surtout, surtout, des gitans.
Se jouant des clichés du western d’antan,  AFERIM ! se moque avec cynisme et mordant de l’intolérance des hommes, d’hier comme d’aujourd’hui ! 
Aferim ! : mot ottoman qui signifie à la fois « salut » et « bravo »

OURS D’ARGENT – MEILLEUR REALISATEUR – BERLIN 2015

Avec : TEODOR CORBAN Costandin • MIHAI COMĂNOIU Ioniță • CUZIN TOMA Carfin • ALEXANDRU DABIJA     Boyard Iordache Cindescu • ALEXANDRU BINDEA Le Prêtre • LUMINIȚA GHEORGHIU  La femme de l’artisan • VICTOR REBENGIUC    L’artisan • ALBERTO DINACHE Tintiric • MIHAELA SÎRBU    Sultana • ADINA CRISTESCU Zambila • ȘERBAN PAVLU Le voyageur à l’auberge GABRIEL SPAHIU Vasile • DAN NICOLAESCU   Le commerçant • LIVIU ORNEA L’abbé

Un film réalisé par RADU JUDE • Scénario RADU JUDE, FLORIN LĂZĂRESCU • Image    MARIUS PANDURU RSC • Montage     CĂTĂLIN CRISTUȚIU • Son      MOMCHIL BOZHKOV • Montage Son    DANA BUNESCU • Mixage     CRISTINEL ȘIRLI • Musique     TREI PARALE • Décors     AUGUSTINA STANCIU • Costume     DANA PĂPĂRUZ • Maquillage     PETYA SIMEONOVA, BIANCA BOEROIU • Coiffure    DOMNICA BODOGAN • Producteur    ADA SOLOMON • Co-producteurs ROSSITSA VALKANOVA, JIŘÍ KONEČNY, OVIDIU ȘANDOR • Une production    HI FILM • En coproduction avec  KLAS FILM, ENDORFILM, MULBERRY DEVELOPMENT• Avec le soutien de  LE CENTRE DE CINEMATOGRAPHIE DE ROUMANIE, BULGARIAN NATIONAL FILM CENTER, STATE CINEMATOGRAPHY FUND CZECH REPUBLIC, LE PROGRAMME MEDIA DE L’UNION EUROPÉENNE ET EURIMAGES • Avec la participation du CINEMA CITY, TOCMAI.RO, TIMIȘOREANA, MEDA, DR. OETKER, AQUA CARPATICA, LIBRA INTERNET BANK, FUNDAȚIA PENTRU O SOCIETATE DESCHISĂ et HBO ROUMANIE

Radu Jude

Né en Roumanie en 1977, Radu Jude est diplômé en réalisation de l’Université des Médias à Bucarest et signe plusieurs courts métrages parmi lesquels Lampa cu căciulă (The Tube with a Hat, 2006) et Alexandra (2006). Son premier long métrage, La Fille la plus heureuse du
monde (Cea mai fericită fată din lume)
, remporte le prix CICAE à Berlin en 2009.
Il réalise ensuite Papa vient dimanche (Toată lumea din familia noastră) – Prix du public et Prix d’interprétation pour Mihaela Sirbu à Entrevues en 2012, ainsi que deux courts métrages, O umbră de nor (Shadow of a Cloud, 2013) et
Trece și prin perete (It Can Pass through the Wall, 2014), tous deux sélectionnés à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes.
Son film suivant, Aferim! (2015) remporte l’Ours d’argent de la meilleure mise en scène à Berlin.
En 2016, Radu Jude a aussi mis en scène Les Scènes de la vie conjugale d’Ingmar Bergman au Théâtre National à Timișoara.

Filmographie

2006 Lampa cu caciula (cm)
2007 Dimineata (cm)
2007 Alexandra (cm)
2009 La Fille la plus heureuse du monde (mm)
2011 Film pentru prieteni
2012 Papa vient dimanche
2013 Shadow of a Cloud [cm]
2014 It can pass through The Wall [cm]
2015 Aferim !
2016 Coeurs cicatrisés
2018 Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares

ENTRETIEN AVEC RADU JUDE

« Je voulais faire un film qui explore
la relation entre le passé et le présent …
ou comment les problèmes du passé 
conditionnent les mentalités actuelles » 
RADU JUDE 

Aujourd’hui, les réalisateurs préfèrent tourner leurs films en numérique. Qu’est-ce qui vous a donné envie de revenir à la pellicule et au noir et blanc?
Avec le directeur de photographie Marius Panduru, nous avons décidé que le film devrait être tourné en noir et blanc pour mettre en valeur l’artifice de la reconstitution historique : nous voulions que le public comprenne dès le départ que ce qu’il regarde est une reconstitution subjective, qui est soigneusement mise en scène mais qui n’en demeure pas moins une fiction. Nous avons donc testé différentes approches : une caméra numérique, une pellicule couleur et deux sortes de pellicules en noir et blanc. Au moment de les comparer, nous en avons conclu que la pellicule en noir et blanc était la plus expressive et donc la plus appropriée pour notre projet.

Les informations sur l’esclavage des Roms ont été occultées par les récits historiques publiés sous le régime communiste roumain. Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour vous documenter sur l’année 1835 et sur ce sujet spécifique ?
Ce n’est pas vraiment un sujet ignoré. Il y a plusieurs récits roms, des études et des archives qui racontent cet esclavage. Et notre principal consultant historique, Constanţa Vintila-Ghitulescu, nous a énormément aidé en suggérant plusieurs titres intéressants. Je ne peux pas dire que nous avons rencontré de grandes difficultés, mais le passé étant naturellement de l’histoire ancienne, nous ne pouvons accéder qu’à des informations limitées. A partir de là, il faut essayer de créer une représentation du passé suffisamment précise.
Evidemment, le risque majeur, et nous avons prévenu les spectateurs de ce risque à travers la manière dont le film est réalisé, est d’oublier que nous sommes constamment impliqué dans un processus d’interprétation. Nous interprétons chaque chose, à commencer par la réalité qui nous entoure à laquelle nous avons accès à travers nos sens et notre cerveau, et nous filtrons aussi notre réalité historique de la même manière. Lorsque nous parlons du passé, nous évoquons en réalité notre vision du passé. J’espère que ce point de vue est évident dans mon film et que tout cinéphile vigilant en prendra bonne note.

Les évènements du film se sont déroulés il y a 180 ans, mais de nombreuses répliques des personnages sont encore pertinentes aujourd’hui. Votre film serait-il une satire du présent?
Je crois totalement à ce que Johan Huizinga disait: “Nous analysons chaque période par souci des promesses qu’elle renferme pour la période suivante.” Mon film traite de la relation entre le passé et le présent, ou bien, pour le dire encore mieux, de la relation du présent avec le passé.

Les conversations du film sont chargées de proverbes et d’aphorismes tirées de travaux d’un certain nombre d’auteurs roumains et étrangers de l’époque, dont les noms apparaissent dans le générique de fin. Pourquoi avoir porté tant d’attention à la culture folklorique de ce temps ?
J’ai commencé par lire des œuvres du 19ème siècle dans le but de me familiariser avec la langue et les mentalités de l’époque (qui sont, selon moi, le vrai sujet du film). À un moment, j’ai trouvé dans les œuvres de Iordache Golescu quelques proverbes magnifiques tout à fait appropriées pour l’une des séquences de Aferim!. Je les ai incorporés au scénario que j’ai écrit avec Florin Lazarescu, puis nous avons trouvé d’autres que nous avons utilisés également, « truffant » ainsi progressivement l’histoire de proverbes issus de la littérature de l’époque. C’était également une déclaration d’amour à la langue roumaine et une façon de souligner la « construction artificielle » qui caractérise le film.
Source : Cineuropa


LA ROUMANIE D’HIER

« Tout se termine et rien n’a encore réellement commencé » disait le révolutionnaire roumain Constantin A. Rosetti.
Au début du XIXème siècle, la Valachie connaît de grands bouleversements dus à la guerre russo-turque qui a eu lieu de 1806 à 1812.
Pendant les six années d’occupation russe, l’Etat major parlant français contribue à une mode française, tant du point de vue vestimentaire, des vêtements, des arts, de la littérature et même de la langue. Le centre de gravitation politique de la Roumanie se déplace de l’influence turque à celle de Paris.

Cette Roumanie européenne des villes contraste avec le monde de la campagne toujours régie par les traditions de l’Eglise.
Derrière cette façade réformatrice, l’Eglise garde une place centrale, régulant la vie de tous les jours et contribuant à la persistance des préjugés contre les juifs ou les tziganes. Le mythe du Juif errant devient une réalité économique. Arrivant de toute part, les juifs s’installent dans les quartiers centraux de Valachie et font prospérer les commerces, autrefois sous le contrôle de l’Eglise. Cette dernière tente alors d’évincer la concurrence en répandant toute sorte de préjugés.

Les femmes sont au cœur du changement en Roumanie.
Elle adoptent et s’adaptent à la mode française, en apprenant le français, valsant au rythme de la musique de Frantz Litz, mais la société n’est pas encore prête à leur donner la place qu’elle désire.
On considère la femme comme responsable de l’adultère bien que le code pénal publié en 1783 prévoie les mêmes peines pour les hommes que pour les femmes : ils sont condamnés à avoir le nez coupé et à être envoyés au monastère pour une durée de 2 ans.
Mais dans les faits, seules les femmes adultères sont punies afin de «les ramener à la raison» tandis que l’adultère des hommes est simplement considéré comme une banale relation hors mariage. La société roumaine est si concernée par la réputation et l’honneur des femmes qu’elle permet aux maris trompés de punir le pauvre amant pris sur le vif avec leur femme. La vengeance pouvait prendre maintes formes d’humiliations publiques et de punitions corporelles : fouet ou même castration si le coupable est de classe sociale inférieure comme c’est le cas pour les gitans.

A l’époque, gitan est synonyme d’esclavage et le mot « rom » n’existe pas. Il ne sera introduit qu’au XXème siècle. L’abolition de l’esclavage est une idée nouvelle qui n’est encore que timidement défendue, la plupart des esclavagistes exerçant d’importantes fonctions politiques.
Seuls quelques ecclésiastiques éclairés défendent l’idée de liberté mais le temps de l’abolition est encore loin. Il faudra attendre que de jeunes intellectuels s’impliquent activement pour la cause des esclaves gitans vers 1848 pour que l’opinion publique bascule sur le sujet. Ce n’est qu’en 1856 qu’une loi est votée, « La Loi pour l’Emancipation de tous les Gitans en Valachie ».  

Constanța Vintilă-Ghițulescu
Docteur en histoire et civilisation à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris
Chercheuse à l’Institut d’Histoire Nicolas Iorga
Professeur agrégé en sociologie de l’Université de Bucarest
Consultante historique du film