Goltzius et la Compagnie du Pélican de Peter Greenaway
Film recommandé

Goltzius et la compagnie du Pélican

Peter Greenway

Distribution : Epicentre Films

Date de sortie : 05/02/2014

Pays-Bas / France / Royaume-Uni / Croatie - 2012 - 2H08 - Couleur - Numérique - 1.85 - Son 5.1

Pays-Bas. 16ème siècle.
Hendrik Goltzius est un célèbre peintre et graveur d’œuvres érotiques. Il aimerait ouvrir une imprimerie pour éditer des livres illustrés.
Il sollicite alors le Margrave (Marquis) d’Alsace et lui promet un livre extraordinaire avec des images et des histoires de l’Ancien Testament regroupant les contes érotiques de Loth et ses filles, David et Bethsabée, Samson et Dalila, Saint Jean-Baptiste et Salomé.
Pour le séduire davantage, il lui offre alors de mettre en scène ces histoires érotiques pour sa cour.

Festival International de Rome 2012 – Compétition Officielle
Festival de Goteberg 2013
Festival Paris Cinéma 2013

Avec : Le Margrave F. Murray Abraham • Hendrick Goltzius Ramsey Nasr • Adaela Kate Moran Thomas • Boethius Giulio Berruti • Susannah Anne Louise Hassing 

Réalisation et scénario Peter Greenaway – Image Reinier van Brummelen – Son Maarten van Gent – Montage Elmer Leupen – Musique Marco Robino – Directeur Artistique Rosie Stapel – Décors Ana Buljan – Costumes Blanka Budak, Marrit van der Burgt – Maquillage Sara Meerman, Pralija Ivana – Production Kees Kasander (Kasander Film Company), Catherine Dussart (CDP), Sam Taylor (Film and Music Entertainment)

Peter Greenaway

Peter Greenaway débute sa carrière dans la peinture avant de se lancer dans l’écriture et l’illustration de livres. C’est à partir de 1965 que ce Gallois d’origine aborde le septième art, en officiant en tant que monteur au Central Office of Information mais également en réalisant de nombreux courts métrages expérimentaux.
En 1980, Peter Greenaway réalise « The Falls », un premier long métrage étrange déjà porteur d’un ton et d’une originalité hors-norme. Deux ans plus, tard, le cinéaste britannique est révélé au niveau international avec « Meurtre dans un jardin anglais », drame érotique sur fond d’art pictural. Suivent alors « Le ventre de l’architecte (1987), situé dans le monde de l’architecture, et le thriller « Drowning by numbers » (1988).
Il construit une carrière jalonnée d’oeuvres ambitieuses, expérimentales, souvent cruelles et violentes, dont la mise en scène privilégie la lenteur et le sublime jusqu’à créer un malaise chez le spectateur. L’art et une certaine fascination pour les nombres sont également souvent au coeur de ses films.
Parmi les longs métrages les plus remarqués de Peter Greenaway figurent notamment « Le cuisinier, le voleur, sa femme et son amant » (1989), « Prospero’s Books » (1991), adapté de La Tempête de William Shakespeare, « The Baby of Macon » (1993) ou encore « The Pillow Book » (1996), un drame avec la calligraphie corporelle en toile de fond et Ewan McGregor au casting.
En 1998, le cinéaste britannique signe « 8 Femmes ½ », drame érotique emmené par Amanda Plummer. 2003 marque la sortie de « The Tulse Luper suicases », porté par un casting prestigieux (J.J. Feild, William Hurt, Kathy Bates, Madonna…), présenté en compétition à Cannes, et premier volet d’une trilogie annoncée sur la vie du criminel Tulse Luper.

Filmographie

Longs métrages
1980 : The Falls – 1982 : Meurtre dans un jardin anglais (The Draughtsman’s Contract) – 1985 : Zoo (A Zed and Two Noughts) – 1987 : Le Ventre de l’architecte (The Belly of an Architect) – 1988 : Triple assassinat dans le Suffolk (Drowning by Numbers) – 1989 : Le Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant (The Cook, the Thief, his Wife and her Lover) – 1991 : Prospero’s Books – 1993 : The Baby of Mâcon – 1995 : Stairs 1 Geneva (documentaire) – 1996 : The Pillow Book – 1998 : 8 Femmes 1/2 (8 1/2 Women) – 1999 : The Death of a Composer: Rosa, a Horse Drama – 2003 : The Tulse Luper Suitcases, Part 1: The Moab Story – 2003 : The Tulse Luper Suitcases, Part 2: Vaux to the Sea – 2003 : The Tulse Luper Suitcases, Part 3: From Sark to the Finish – 2005 : A Life in Suitcases – 2007 : La Ronde de nuit (Nightwatching) – 2012 : Goltzius and the Pelican Company

Courts et moyens métrages
1973 : Intervals – 1973 : H is for House – 1975 : Water Wrackets – 1975 : Windows – 1976 : H for House – 1976 : Dear Phone – 1978 : A Walk through H – 1978 : Vertical Features Remake – 1980 : Act of God – 1985 : 26 Bathrooms – 1989 : Les Morts de la Seine (Death in the Seine) – 1991 : M is for Man, Music, Mozart – 1992 : Rosa -1992 : Darwin – 1995 : Lumière et compagnie – segment – 1997 : The Bridge – 2001 : The Man in the Bath – 2004 : Visions of Europe – segment European Showerbath – 2013 : Just in Time, segment du film 3x3D

ENTRETIEN AVEC PETER GREENAWAY

De Meurtre dans un jardin anglais à Goltzius et la Compagnie du Pélican, les artistes peintres hantent vos films, pourquoi ?
J’ai toujours été fasciné par les peintres et les créateurs d’images. Je peignais avant de mettre en scène des films et aujourd’hui encore je peins, mais j’ai toujours été frustré par la peinture car elle ne comporte pas de bande son. En réalisant des films, je voulais faire des peintures musicales, ce qui serait une de mes définitions du cinéma.
Malheureusement, le cinéma est devenu un art essentiellement textuel. Il est impossible de trouver un film qui aurait pour point de départ autre chose que du texte. Que vous vous appeliez Almodóvar, Eisenstein ou Godard, c’est la même chose. C’est tragique pour un médium dont la matière première est l’image. Mais je pense qu’il y a toujours un moyen de continuer à parler de la nature du cinéma, de ce qu’il aurait pu être et n’a jamais été.

Qui était Goltzius ?
Goltzius est un graveur connu pour ses talents de copiste, un imprimeur et un grand peintre. Il est également un des premiers fabricants d’images à avoir mis en place dans son atelier une chaîne de production. D’une certaine manière, le cinéma lui aussi est un art de la reproduction. Où se trouve l’original de Gone with the Wind ? Le cinéma est un phénomène de répétition.
Je suis convaincu que chaque avancée dans les arts visuels, et Goltzius avait mis en place une technologie inédite au début du XVIIe siècle, s’accompagne de nouvelles pratiques érotiques. Quand les peintures ont eu des formats plus petits, on pouvait alors les loger dans des appartements privés pour des contemplations réservées. Les débuts de la photographie, du cinéma et d’internet, toutes ces périodes ont été accompagnées de représentations érotiques qui sont de plus en plus vraisemblables et réalistes.

Tout comme la peinture, la sexualité occupe une part importante dans votre œuvre…Il n’y a que deux sujets importants dans la vie : le sexe et la mort. Shakespeare ajoutait le pouvoir mais le pouvoir est seulement une question de manipulation de la mort et du sexe. Les grecs évoquent la présence d’Eros et de Thanatos à la création et à la fin du monde. Ne sachant rien de vous, je sais néanmoins deux choses de manière certaine : deux personnes ont fait l’amour pour vous concevoir et vous allez mourir. La continuité et la fin sont deux principes essentiels.

Avez-vous complètement inventé l’histoire de Goltzius et la Compagnie du Pélican ?
Mon histoire s’inspire de faits réels. Originaire du sud de la hollande, où il vécut de nombreuses années, Goltzius a beaucoup voyagé, notamment en Italie. Dans le film, il recherche de l’argent pour fabriquer une nouvelle presse. Les circonstances particulières qui l’amènent chez le Margrave et les aventures qui s’en suivent sont de mon invention. Vous pouvez voir que Goltzius est à mon image. Comme un réalisateur, il doit trouver de l’argent pour ses projets. Il désire associer le texte et l’image…

Vous avez donc inventé toutes les séquences bibliques ?Nous savions que Goltzius a illustré l’ancien testament et il a probablement illustré Ovide. Dans Goltzius et la Compagnie du Pélican j’annonce une suite autour de ces illustrations d’Ovide. Cependant, je ne pense pas que je pourrai la réaliser.

Avec La Ronde de Nuit, Goltzius et la Compagnie du Pélican constitue le deuxième volet d’un triptyque que vous consacrez à des peintres ?
C’est ce que disent mes producteurs. Mais le prochain film que je vais tourner sera autour d’Eisenstein, je me tourne une fois encore vers un grand visionnaire, qui inventait des images. Autant célébrer le plus grand cinéaste. Ensuite, je m’attèlerai à un projet autour de Mort à Venise avant de revenir aux peintres.

Après Rubens, Goltzius, encore un peintre flamand…Ils étaient peut-être les peintres les moins élitistes. En hollande, il y a eu une relation entre les peintres et le public qui n’avait jamais existé auparavant. Les peintures appartenaient à tous et non plus à un petit groupe de monarchistes.

Pourquoi avoir choisi d’illustrer six récits bibliques ?
La bible regorge de scènes érotiques : ces pauvres juifs qui ne savent que faire de leur sexe avec un dieu incroyablement jaloux qui refuse d’accepter quoique que ce soit en dehors de la loi et des canons du judaïsme. Tout le monde alors essaye de faire semblant ; tout est devenu une question d’hypocrisie et de double jeu, d’excuses et de pardons. Tout me passionne dans la bible.
J’ai choisi six histoires. La première est celle d’Adam et Eve qui apprennent à faire l’amour regardés, encouragés et guidés par Satan. C’est le premier coït de l’humanité. La deuxième avec Loth et ses filles aborde l’inceste ; la troisième l’adultère avec David et Bethsabée ; la quatrième la pédophilie avec la femme de Potiphar ; la cinquième la prostitution avec Samson et Dalila et la sixième, issue du nouveau testament, la nécrophilie avec Salomé.

Avec Goltzius et la Compagnie du Pélican on apprend beaucoup de choses en s’amusant.Je voulais faire tout ce que permet le cinéma : distraire, amuser, éduquer, émouvoir, vous faire penser, vous surprendre, vous exciter. Et je voulais également essayer de nouvelles techniques, mêler les calques et les cadres. C’est un film où vous ne pouvez pas éviter de vous poser la question du cadre. La nature n’offre pas de cadres, c’est un concept culturel, alors montrer le cadre est pour moi un moyen de souligner la manipulation qui préside au point de vue et à l’artifice de chaque histoire.

Votre cinéma est à l’opposé de toute psychologie ?
On ne peut jamais vraiment se défaire de la psychologie, du mimétisme, de l’identification du spectateur. Mais ce que je désire, c’est déconstruire le cinéma pour en souligner l’artificialité. Le cinéma est un jeu de dupe : on vous trompe, on contrôle vos pensées. On puise dans votre bagage culturel dans le but de réaliser une expérience cathartique. Le cinéma engage profondément le spectateur alors qu’il n’est qu’un medium artificiel. J’aime cela. Je joue sans cesse avec le spectateur. J’ai envie de jouer.

On pourrait aujourd’hui trouver des résonnances avec le fanatisme que vous mettez en scène dans Goltzius et la Compagnie du Pelican… Trouvez-vous que l’histoire se répète ?Vous savez ce qu’on dit : “the first time as tragedy, the second time as farce”. Peut-être que nous serons les derniers à connaître la bible. Si le film réinterprète le plus grand bestseller de l’occident de tous les temps, au XXIe siècle la bible a perdu de son pouvoir et de son influence. Aujourd’hui plus personne ne lit ce livre. Mais quand vous avez étudié la peinture toute votre vie, vous savez qu’une grande partie des peintures européennes d’avant le XIXe siècle sont des illustrations de la bibles. Pour réellement comprendre Rembrandt il faut maîtriser ce texte référent.

Dans Goltzius et la Compagnie du Pélican, vous abordez la bible sous un angle très provocateur.
C’est une obligation pour un réalisateur, un artiste ou un curateur, il faut être provocateur. Mais attention, John Lennon disait que “l’avant-garde is french for bullshit” et je suis totalement d’accord avec lui. L’avant-garde est juste une perception bourgeoise. Cela dit, “les demoiselles d’Avignon” de Picasso était un tableau très provocateur. L’art offre une alternative au statu quo.

L’histoire de Goltzius et la Compagnie du Pélican se déroule à la fin du XVIe siècle, pourquoi avoir choisi cette époque ?Il y a deux trames. La première qui se déroule en 1590 et la seconde dix ans plus tard, lorsqu’il est devenu célèbre. Je me permets ainsi d’avoir un personnage qui apporte des commentaires sur lui-même. Le deuxième Goltzius a un rôle de critique, on pourrait peut-être même dire de critique de cinéma.

La fin du XVIe siècle est souvent associée à une période artistique particulièrement riche, qu’est-ce qui vous séduit le plus dans l’art de cette époque ?
C’est le maniérisme, un art référentiel et réflexif. Pour la première fois, les peintres réalisent qui ils sont. C’est une période passionnante marquée par le manque de confiance et la recherche de soi. C’est un moment où les possibles sont multiples et où chaque culture se regarde elle-même, se réexamine, se déconstruit. Je pense que nous sommes aujourd’hui dans une période maniériste, une période d’incertitude culturelle.

Pourquoi avoir choisi Ramsey Nasr pour interpréter Goltzius ?C’est un poète hollandais. Il est donc très sensible aux mots, à la manière de les prononcer, de jouer avec. A la fin du XVIe siècle, la prononciation était forcée, ce qui explique son accent curieux et excentrique.

Les dialogues ont-ils été post synchronisés ?
Non tout a été tourné live. Nous avions beaucoup d’acteurs et de figurants italiens. Je voulais un casting international à l’image de l’Europe multiculturelle de la fin du XVIe siècle.

Comme dans chacun de vos films, la musique est très présente dans Goltzius et la Compagnie du PélicanJe désire une bande son très riche, aussi riche que l’image. Dans mes films la musique est toujours répétitive, comme mes scénarios. Il est toujours question de la récurrence des faits, des humeurs ou des sentiments.
Mes goûts musicaux sont liés à la musique minimaliste des années 60. Michael Nyman, avec qui j’ai travaillé de nombreuses fois, Philip Glas avec qui je monterai un opéra l’an prochain. Le compositeur de Goltzius et la Compagnie du Pélican, Marco Robino et le groupe turinois Architorti appartiennent à une nouvelle génération de musiciens minimalistes.

Goltzius et la Compagnie du Pélican a-t-il été tourné ?
En Croatie. Nous étions en coproduction avec la Croatie, qui nous avait offert d’utiliser des décors. Mais quand nous sommes allés à Zagreb, nous avons recherché, sans jamais le trouver, un palais du XVIe siècle. Et puis nous sommes tombés sur cette gare de triage avec son atmosphère étrange, très photogénique.

Goltzius et la Compagnie du Pélican fourmille de références culturelles, picturales ou musicales, littéraires ou historiques.J’ai envie de faire en sorte que ces codes soient visibles à l’écran. L’occident est fort d’une longue culture visuelle. Peut-être que la plupart des gens sont devenus ignorants et se fichent de cette culture, mais j’ai envie de les ouvrir à ces codes, pour ensuite développer une sémiotique visuelle, de sorte que “le déjeuner sur l’herbe” de Monet ou “les demoiselles d’Avignon” de Picasso soient des références au même titre que Molière ou Shakespeare. Ces notions, ces codes sont le b.a.ba de la communication. Et Ramsey Nasr, dans le rôle de Goltzius, ne cesse de rappeler à votre mémoire tel ou tel tableau : il nous enseigne l’histoire de l’art. Nous ne pouvons ignorer notre héritage artistique.

Propos recueillis par Donald James, juillet 2013