Pororoca, pas un jour ne passe de Constantin Popescu
Film recommandé

Pororoca, pas un jour ne passe

Constantin Popescu

Distribution : New Story

Date de sortie : 13/06/2018

Roumanie, France / 2017 / 2h32 / DCP / Couleur

Cristina et Tudor Ionescu forment une famille heureuse avec leurs deux enfants, Maria et Ilie.
Un dimanche matin, alors que Tudor se trouve avec les enfants au parc, Maria disparaît.
Un événement qui va brusquement et définitivement bouleverser leur vie.

Festival International du Film de San Sebastian (Espagne, 2017)
Festival du Film d’Istanbul (Turquie, 2018)

Avec : Bogdan Dumitrache, Iulia Lumânare, Andrea Nicolescu

Producteurs délégués Lissandra Haulica, Liviu Marghidan • Scénariste Constantin Popescu • Ingénieur du son Mihai Bogos • Responsable de la post-production Antoine Rabaté • Assistante à la réalisation Roxana Leotescu • Directeur de la photo  Liviu Marghidan • Cadreur  Mircea Valentin • Monteuse  Corina Stavilá • Mixeur Vincent Arnardi

Constantin Popescu

Né en 1973, à Bucarest en Roumanie.

Filmographie

2018 Pororoca, Pas Un Jour Ne Passe (Réalisateur , Scénariste)
2010 Contes De L’âge D’Or (partie 2) film collectif
2009 Contes De L’âge D’Or (partie 1) film collectif 

Lorsque l’on demande au réalisateur d’expliquer la raison pour laquelle il a intitulé son film d’après un phénomène naturel dévastateur d’Amazonie, celui-ci répond : « certaines personnes ne peuvent vivre sans réponse. J’ai choisi ce titre parce que Tudor, le personnage principal, a une forte personnalité et sa quête est en quelque sorte aussi puissante que ce phénomène ».

Le réalisateur a également ajouté que son projet explore le sentiment de culpabilité. 

« C’est la manière dont les personnages tentent de communiquer quand la communication semble apparemment impossible qui m’a donné l’envie de travailler sur cette histoire » conclut-il.
 


ENTRETIEN AVEC CONSTANTIN POPESCU PAR CINEUROPA

Cineuropa : Pororoca est un film nouveau pour le cinéma roumain. D’où l’idée de départ est-elle venue ? A-t-elle évolué pendant l’écriture ? 
Constantin Popescu : Le contexte du film est très personnel, et j’aimerais autant ne pas trop en parler. L’idée du film est née en 2008. Un an après, j’en ai parlé pour la première fois. En 2010, j’ai commencé à me documenter sur le sujet, et j’ai écrit le scénario en 2014. J’en ai terminé la première version en janvier 2015. Les recherches et l’élaboration de l’itinéraire précis des deux personnages a en fait pris plus de temps que l’écriture du scénario.

Bogdan Dumitrache et Iulia Lumânare livrent ici deux des plus belles performances du cinéma roumain récent. Comment avez-vous travaillé avec eux ?
Je vous remercie de ces gentilles paroles. Je les connaissais tous les deux déjà, et pour tout vous dire, c’est eux que j’avais en tête en écrivant les personnages. Ils ont tous les deux des personnalités très fortes, et ils comprennent parfaitement les mécanismes et l’éthique du métier, de sorte qu’ils ont travaillé dans le plus grand respect l’un de l’autre et qu’ils se sont soutenus mutuellement, et cela se sent dans le film. Je pense qu’ensemble, nous sommes parvenus à créer des personnages convaincants, d’abord avec le scénario, puis lors des longues conversations que nous avons eues. Le résultat me semble assez puissant.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le plan-séquence de 18 minutes ?
En fait, il a duré 22 minutes, mais je n’en ai gardé que 18 au montage. Plus de 150 personnes ont participé à cette scène (l’équipe, les figurants, les enfants avec les parents, les médecins, le personnel de sécurité). Les répétitions et le tournage de cette scène ont pris une semaine. J’ai passé deux semaines sur place avant, avec mon producteur et mon directeur de la photographie Liviu Mărghidan, pour chorégraphier chaque mouvement. Ce fut un cauchemar logistique, car la mairie n’avait pas approuvé la fermeture de la zone du parc où nous avons tourné.

Au-delà de cela, travailler avec des enfants a une dimension imprévisible. Surtout que certains jours pendant le tournage, il a fait extrêmement chaud, jusqu’à 38 ou 39 C°. Il est arrivé plus d’une fois aux preneurs de son de devoir arrêter, à cause de la chaleur. Nous avons fait 21 prises en trois jours parce que nous ne pouvions travailler que quatre heures par jour – c’est le nombre d’heures maximum qu’un enfant peut passer sur un tournage chaque jour. C’est la scène la plus difficile que j’ai jamais réalisée dans toute ma carrière.

Quel est, selon vous, le problème le plus urgent à résoudre pour l’industrie du film roumaine ?
Après l’expérience Pororoca, je dirais qu’obtenir un permis de tourner ne devrait pas être une opération aussi pénible. Ça ne ferait pas de mal si les autorités soutenaient davantage les gens qui font des films. Tout le monde applaudit quand nos films brillent à l’étranger, mais personne ne se précipite pour aider un réalisateur qui voudrait tourner dans un espace public. Pour le faire, il faut obtenir des permis spéciaux, or c’est devenu une mission difficile, parfois même humiliante, comme si les films étaient réalisés pour une classe privilégiée et non pour tout le monde. Une autre chose qui incombe aux autorités locales et qui reste un gros problème : l’absence de cinémas.

Avez-vous commencé à développer un nouveau film ?
Oui, il aura un personnage principal féminin. Ce sera le premier film roumain dans son genre. Sur le plan visuel et acoustique, ce sera vraiment un travail hors de l’ordinaire.


SAN SEBASTIAN 2017 Compétition

CRITIQUE : POROROCA

par Stefan Dobroiu

D’excellentes performances, un rythme effréné et une mise en scène très bien maîtrisée sont les qualités principales du troisième film du Roumain Constantin Popescu, une oeuvre au titre mystérieux mais pertinent de Pororoca qui est actuellement en lice pour le Coquillage d’or du 65Festival de San Sebastian. Au sein d’une industrie du film très friande de ces “drames d’appartement”, Popescu s’aventure dans des eaux insolites et sombres pour nous raconter l’histoire d’une famille ébranlée par un événement tragique. 

Pororoca suit l’histoire d’un couple de trentenaires, Tudor (Bogdan Dumitrache) et Cristina (Iulia Lumânare), qui vivent confortablement à Bucarest avec leurs deux enfants, Ilie et Maria. On est en plein été, et un des passe-temps favoris de Tudor est d’emmener son fils et sa fille au parc, où ils jouent avec leurs amis. On imagine difficilement famille plus épanouie, jusqu’au jour où Maria disparaît pendant un moment d’inattention de Tudor.

Le film prend alors la forme d’un thriller – avec à la clef une enquête policière, un coup de téléphone mystérieux et une silhouette étrange sur une photo prise au parc ce jour-là –, mais non seulement Popescu réalise un thriller roumain, ce qui est déjà rare en soi, il s’aventure aussi dans l’analyse psychologique du deuil et de la manière dont il affecte la communication au sein d’une famille. Bien soutenu par des interprétations de premier ordre, le film montre très efficacement à quel point la structure familiale est semblable à un château de cartes : si on retire la base, tout s’effondre, causant un vide énorme au sein du foyer familial.

Trouver un meilleur titre que Pororoca pour ce film aurait donc été difficile, car il fait explicitement référence au phénomène ravageur des mascarets d’Amazonie. Dans le scénario de Popescu, la disparition de Maria a exactement cet effet sur la vie de ses parents : elle altère le poids de mots, des gestes, des actes et des sentiments les plus profonds. Les personnages secondaires sont utilisés de manière très judicieuse, pour souligner l’impossibilité qu’il y a à appréhender ce tremblement de terre émotionnel d’un point de vue extérieur. En effet, comment quelqu’un d’extérieur peut-il ressentir le vide causé par le sort incertain de Maria, ou l’horreur ressentie à l’évocation du passé dans les conversations?

Beaucoup de films roumains se ressentent du fait que la plupart des comédiens du pays sont formés au théâtre, ce qui donne souvent lieu à des performances maniérées qui ne conviennent pas au grand écran. Pororoca est un des rares exemples de film où les performances sonnent parfaitement juste, et cela même au cours du plan-séquence de 18 minutes que propose le film, une scène techniquement difficile, impressionnante et parfaitement chorégraphiée, qui est sans doute une des plus belles du cinéma roumain. Bogdan Dumitrache, déjà connu pour ses rôles dans Mère et Fils de Călin Peter Netzer et Métabolisme (ou Quand le soir tombe sur Bucarest) de Corneliu Porumboiu, devient avec ce film un des plus grands acteurs de l’Histoire du cinéma roumain pour son interprétation du personnage de Tudor Ionescu, qu’on voit petit à petit succomber à l’obsession. Il est difficile d’imaginer quelqu’un d’autre pour le prix d’interprétation. Ses concurrents auront du fil à retordre aux Gopos du cinéma roumain 2019.