Film soutenu

24 City

Jia Zhangke

Distribution : Ad Vitam

Date de sortie : 18/03/2009

Chine / 2008 / 1H52 / Format de tournage : HD Cam SR

Chengdu, aujourd’hui. L’usine 420 et sa cité ouvrière modèle disparaissent pour laisser place à un complexe d’appartements de luxe : « 24 City ». Trois générations, huit personnages : anciens ouvriers, nouveaux riches chinois, entre nostalgie du socialisme passé pour les anciens et désir de réussite pour les jeunes, leur histoire est l’Histoire de la Chine.

Compétition Sélection Officielle – Festival de Cannes 2008

Réalisation Jia Zhang-Ke
Scénario Jia Zhangke , Zhai Yongming
Image Yu Likwai, Wang Yu
Lumière Hao Feng
Son Zhang Yang
MusiquesYoshihiro Hanno, Lim Giong
Montage Lin Xudong, Kong Jinlei
Directeur Artistique Liu Qiang
Costumes Zhao Tong
Directeur de production Zhang Dong
Producteurs exécutifs Chow Keung, Ren Zhonglun, Tang Yong 
Produit par Jia Zhang-Ke, Shozo Ichiyama, Wang Hong
En association avec Zhang Dong, Yang Rui, Wang Tianyun
Co-producteur Masayuki Mori, Yoshida Takio, Sadai Yuji, Kubo Satoshi, Xu Pengle, Zhu Jiong, Ma Ning
Une production Xstream Pictures, Shanghai Film Group Corporation, China Resources (Holdings) Co., Ltd.
En association avec Office Kitano, Bandai Visual, Bitters End

Jia Zhangke

1995 : Xiao Shan Going Home
1996 : Du Du
1997 : Xiao Wu, artisan pickpocket
2000 : Platform (Zhantai)
2001 : In Public (Gong Gong Chang Suo), (doc) (cm)
2002 : Plaisirs inconnus (Ren Xiao Yao)
2004 : The World (Shijie)
2006 : Dong (doc)
2006 : Still Life (Sanxia Haoren)
2007 : Useless (Wuyong) (doc)
2008 : 24 City
2008 : The Age of Tattoo (Ciqing Shidai) (en production)

À propos du film

Ce film est composé de récits de fiction autour de 3 femmes et de témoignages de 5 ouvriers qui font part de leurs souvenirs. Mettre en parallèle le documentaire et la fiction était pour moi la meilleure façon d’affronter l’histoire de la Chine entre 1958 et 2008. Cette histoire est simultanément construite par les faits et par l’imagination.
L’histoire se déroule dans une usine militaire d’Etat qui existe depuis 60 ans. Ce lieu a connu tous les mouvements politiques de la Chine communiste. Je ne cherche pas à organiser l’histoire mais à comprendre cette expérience socialiste, qui dure depuis près de 100 ans et qui a affecté le destin du peuple chinois. Afin de comprendre ces changements sociaux complexes, il faut écouter avec attention les témoignages des protagonistes.
Les films contemporains s’appuient de plus en plus sur l’action. J’aimerais que ce film retourne au langage. Pour certains, la « narration » doit se traduire en mouvements capturés par la caméra. J’aimerais que les sentiments les plus profonds et les expériences les plus complexes soient exprimés par la narration.
 Quelle que soit l’époque, tous les individus et leurs expériences doivent être pris en compte. Il y a 8 ouvriers chinois dans « Quitter l’usine », je pense que chacun y trouvera une part de soi-même…

Jia Zhangke


« 24 City » : un monde ouvrier à l’agonie en Chine

La classe ouvrière ira-t-elle au paradis ? C’est le vœu du cinéaste Jia Zhangke qui, poursuivant sa chronique des mutations de la société chinoise, recueille les confessions de huit anciens habitants d’une cité de Chengdu, la capitale de la province du Sichuan, au centre de la Chine. Les immeubles de cette cité sont en train d’être rasés, ainsi que l’usine d’aéronautique n° 420 qui nourrissait cette population, pour laisser place à un complexe d’appartements de luxe nommé « 24 City ».

En voyant ces images d’ateliers déserts et de chantiers de rénovation, on pense aux démolitions de quartiers historiques imposées par le gouvernement chinois afin de préparer les sites des Jeux olympiques. Interrogé sur un éventuel lien entre 24 City et les polémiques qui entourent la préparation des JO, Jia Zhangke préfère évoquer le séisme qui vient de frapper la Chine, dans cette région de Chengdu où il avait planté sa caméra. Avant la projection officielle de son film, en compétition à Cannes, samedi 17 mai, debout à la tribune de la conférence de presse, tête baissée, il a observé quelques minutes de silence.
Austère, conceptuel, 24 City prolonge une réflexion sur l’interpénétration entre le documentaire et la fiction, que le cinéaste avait engagée avec Plateforme (2001). Hormis des inserts montrant les lieux condamnés à la pelleteuse, une chorale de femmes chantant L’Internationale, un papillon posé sur le rebord d’une fenêtre sale dans un hangar désaffecté, le film est composé uniquement d’entretiens. Jia Zhangke interroge trois femmes et cinq hommes. Ils appartiennent à trois générations. Les plus âgés évoquent leur nostalgie du socialisme d’antan, le respect des instruments de travail que leur ont inculqué les vieux maîtres des ateliers. Les plus jeunes disent leur désir de réussite dans un monde voué à l’économie de marché, où ils se retrouvent sans travail à 40ans.
Il y a une sorte d’entourloupe expérimentale dans cette succession de témoignages. Certains (ceux des ouvriers) sont pris sur le vif, d’autres pas. Jia Zhangke a fait rejouer certains des récits par des acteurs, « pour réaliser un devoir de mémoire », dit-il. « Tout s’oublie, on n’a plus le droit de parler d’histoire, ni de discuter d’hier. Moi, je cherche à comprendre d’où je viens, à lutter contre l’oubli. » Ce jeu de brouillage entre les émotions spontanées et les larmes factices produit parfois un effet humoristique. Une jeune femme raconte que les garçons l’avaient surnommée la « pièce standard » parce qu’elle était la plus belle de l’usine, et qu’elle s’identifia à « Petite Fleur », héroïne d’un film chinois de l’époque interprétée par l’actrice Joan Chen. Or c’est Joan Chen elle-même qui interprète le rôle de cette ouvrière : bel effet d’écho visuel entre une tranche de vie, une identification et une recréation sublimée.

GARDER TRACE
Education sentimentale du temps de l’adolescence, traumatisme d’une mère ayant égaré son enfant lors d’un voyage, bilan désabusé de la « Petite Fleur » restée célibataire : comme dans Still Life (2007), Jia Zhangke insiste sur les conséquences des mutations de la société sur la vie privée de ses protagonistes. Comme le poétise Yeats dans l’une des citations qui rythment le film, « les choses que nous avons pensées et faites se répondent forcément avant de s’estomper ». Tout l’art de Jia Zhangke est de garder trace de ce qui s’efface.
Même démarche chez Raymond Depardon dans La Vie moderne : à la ville morte du cinéaste chinois répond la décrépitude des fermes d’Ardèche, de Haute-Loire ou de Lozère dont le documentariste français filme les habitants, complice de leur isolement, de leur droiture et de leur digne émotion. Cette chronique des gens de la terre exhume plus qu’un mode de vie à l’agonie : nos racines.

Jean-Luc Douin, LE MONDE | 19.05.08