Film soutenu

Air Doll

Kore-Eda Hirokazu

Distribution : Océan Films Distribution

Date de sortie : 16/06/2010

Japon - 2009 - 2h06 - 35 mm - 1. 1:85 - Son Dolby SR

Tokyo. Une poupée d’air habite l’appartement sordide d’un homme d’une quarantaine d’années. Elle ne peut ni parler, ni bouger, mais elle est la seule compagne de son propriétaire. Il lui parle, prend son bain avec elle, et lui fait l’amour chaque soir, en rentrant du travail. Mais un jour, le fantasme devient réalité : la poupée prend vie et développe des sentiments humains. Comme un nouveau-né, elle découvre un monde inconnu qu’elle aspire à découvrir. Elle s’aventure alors dans les rues de la ville, fascinée par tout ce qu’elle voit, mais les gens qu’elle rencontre sont incapables de lui expliquer ce que veut dire “être en vie”…
C’est en poussant la porte d’un vidéoclub qu’elle obtient enfin une réponse : elle fait la connaissance de Junichi, le vendeur, et tombe aussitôt amoureuse de lui.

Festival de Cannes 2009

Scénario et réalisation KORE-EDA Hirokazu
Producteur développement projet YASUDA Masahiro
Producteurs exécutifs KAWASHIRO Kazumi
SHIGENOBU Yutaka
HISAMATSU Takeo
TESHIMA Masao
Producteurs URATANI Toshiro
KORE-EDA Hirokazu
Producteur associé KATO Yoshihiro
D’après le roman graphique de Gouda Yoshiie Philosophical Discourse, The Pneumatic Figure of a Girl” (editions SHOGAKUKAN INC.)
Image Mark LEE Ping-Bing
Montage KORE-EDA Hirokazu
Décors TANEDA Yohei
KANEKO Hiroki
Musique world’s end girlfriend
Lumière OSHITA Eiji
Son TSURUMAKI Yutaka
Société de production TV MAN UNION
Coproducteurs ENGINE FILM, BANDAI VISUAL, TV MAN UNION, EISEI GEKIJO, ASMIK ACE ENTERTAINMENT 

Kore-Eda Hirokazu

Né à Tokyo en 1962, Kore-eda a obtenu son diplôme de l’université de Waseda en
1987. Il est ensuite embauché chez TV Man Union, où il réalise plusieurs documentaires primés. Son premier long métrage, MABOROSI a reçu l’Osella d’or à la Mostra de Venise en 1995. Son deuxième film, AFTER LIFE, a été distribué dans une trentaine de pays et valu à son auteur une reconnaissance internationale. Son troisième opus, DISTANCE, est sélectionné en compétition au festival de Cannes en 2001, tandis que son quatrième film, NOBODY KNOWS, a décroché le prix d’interprétation masculine pour Yagira Yuuya au festival de Cannes en 2004. En 2006, HANA, son premier film en costumes qui se déroule sous la dynastie Edo, parle de chevalerie et de vengeance. En 2008, STILL WALKING, très librement autobiographique, a été sélectionné au festival du film de Toronto et a obtenu le prix du meilleur réalisateur aux Asian Film Awards et l’Astor d’or du meilleur film au festival du film de Mar del Plata. La même année, il réalise son premier long métrage documentaire, DAIJOBU DE ARUYO NI : COCCO OWARANAI TABI, sur la tournée du chanteur japonais Cocco.
Kore-eda a également produit trois jeunes cinéastes japonais : KAKUTO d’Iseya Yusuke, sélectionné au festival de Rotterdam en 2003, WILD BERRIES de Nishikawa Miwa, sélectionné au festival New Directors/New Films de New York en 2003 et SWAY, de la même réalisatrice, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes en 2006.

Filmographie

2009 AIR DOLL
2008 STILL WALKING
2008 DAIJOBU DE ARUYO NI: COCCO OWARANAI TABI (doc)
2006 HANA
2004 NOBODY KNOWS
2001 DISTANCE
1998 AFTER LIFE
1995 MABOROSI

Note d’intention du réalisateur

“En février 2000, la bande dessinée The Pneumatic Figure of a Girl de Gouda Yoshiee est parue aux éditions Shogakukan. Je me souviens parfaitement à quel point ce manga m’a ému. Une poupée, remplie d’air par l’homme qu’elle aime, sillonne la ville de nuit et se dit : “Mon corps est rempli de son souffle. Je ne pourrai sans doute jamais me remplir d’air toute seule. Même si je dois y laisser ma vie, cela m’est égal.” La poupée est résolue à profiter de la vie au maximum, même si elle est condamnée au bout du compte. “Je suis triste et heureuse à la fois,” dit-elle. Ces paroles traduisent, à mon avis, notre point de vue sur la vie : de fait, notre vie est tour à tour “triste et heureuse.” Mon mot d’ordre a toujours été de ne réaliser des films qu’en partant de mes propres idées. Mais avec AIR DOLL, j’ai senti que je devais faire une exception et je me suis donc mis à développer le scénario sans attendre. A l’hiver 2001, je disposais d’un traitement et d’un résumé. Huit ans plus tard, ce projet est enfin devenu réalité.
“La vie semble ainsi faite que l’on ne peut pas être vraiment heureux seul.” Il s’agit d’un extrait de La Vie du célèbre poète japonais Yoshino Hiroshi. Pour moi, ce point de vue résume le monde où nous vivons et la vie des personnages du film. Je me réfère d’ailleurs de manière symbolique à ce poème dans AIR DOLL.
Je veux que les personnages communiquent les uns avec les autres à travers la poupée. Et c’est grâce à cette manière de communiquer qu’ils mûrissent et évoluent.
Cela reflète aussi mon regard sur le monde et les hommes : la réalité et la beauté de la vie résident dans ce type même d’évolution. A première vue, ce film ressemble à une histoire d’amour, mais les vraies questions que j’y aborde concernent la nature humaine : les hommes peuvent-ils combler leur propre vacuité ? Quel est le sens de la vie ? Qu’est-ce qu’un être humain ?”
KORE-EDA Hirokazu

Gouda Yoshiee, auteur du roman graphique :
“Je suis fasciné par le talent de Kore-eda qui a su tirer un film de deux heures à partir de mon roman d’une vingtaine de pages. Le scénario est remarquablement écrit et tire très bien parti de la protagoniste et de ses rencontres avec les autres personnages. Si le spectateur comprend ce que j’ai voulu dire – à savoir que l’homme est à la fois triste et heureux d’avoir une âme –, je serai vraiment satisfait. Bae Doona était ravissante sur le plateau… aussi ravissante qu’une poupée. Grâce à elle, j’ai pris conscience de l’érotisme qui existe entre un être humain et une poupée, ce qui est un sentiment étrange et beau.”

La fabrication d’un être
Relations et ruptures dans le monde de Kore-eda


Entretien avec Kore-Eda Hirokazu

A l’exception de MABOROSI, tous vos films s’inspirent d’histoires vraies. C’est donc la deuxième fois, avec AIR DOLL, que vous adaptez une fiction : cette fois, vous êtes parti d’une BD d’une vingtaine de pages. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans cette histoire ?
La scène où la poupée d’air verse une larme, se vide de son air, puis est remplie d’air par l’homme qu’elle aime m’a semblé d’une grande force érotique. J’ai aussi trouvé ce passage très cinématographique. Je n’avais jamais abordé un sujet pareil jusque-là, et j’avais donc envie de tenter l’expérience. Il s’agit d’une sexualité qui passe par le souffle d’un être humain, et je me suis dit que je pouvais transposer cela de manière cinématographique et métaphorique. Depuis l’époque où je tournais des documentaires pour la télé, je m’intéresse aux relations affectives et intimes entre les êtres. Je trouve que l’idée d’être, pour ainsi dire, mis au monde par le souffle d’autrui est une manière très intime d’établir un lien avec quelqu’un et d’y prendre du plaisir. Le contraste entre l’être humain qui tente de s’épanouir seul et la poupée qui s’épanouit grâce à autrui m’a vraiment fasciné. MABOROSI était un projet que m’avait proposé mon producteur. C’est donc la première fois que j’adapte une oeuvre pour le cinéma. C’était important pour moi de pouvoir explorer mes thèmes de prédilection à travers le personnage de la poupée d’air.

Vous avez développé plusieurs personnages secondaires, tous passionnants.
Pourquoi ?

J’ai imaginé des personnages féminins de différentes générations pour trancher avec le processus de vieillissement de la poupée, et pour dépeindre leur vacuité de manière frappante. Par exemple, il y a une femme qui tente de combler le vide de sa vie en mangeant, alors que la poupée ne peut pas manger. Une autre femme a peur de vieillir, tandis que la poupée préfère jouir de la vie et accepte de vieillir en abandonnant sa pompe à air.
Tous les personnages, hommes ou femmes, sont seuls. S’agissant des personnages féminins, les mots-clés sont “vacuité” et “absence.” Pour les personnages masculins, ce sont “substitution” et “perversion.” Les hommes ne veulent pas satisfaire leurs désirs de manière directe, mais cherchent au contraire des solutions alternatives. Ces sont des pervers qui aspirent à la mort et non pas à la vie. C’est le type de personnages que j’ai essayé de représenter. En d’autres termes, le film parle de la solitude urbaine, qu’il s’agisse des hommes ou des femmes.

AIR DOLL se passe à Tokyo, même s’il ne s’agit pas de la ville moderne que l’on voit en général au cinéma. Pourquoi avez-vous souhaité situer le film dans le quartier historique de la ville ?
J’ai choisi de situer l’histoire dans un quartier qui va bientôt disparaître à jamais. Au départ, je voulais tourner dans un appartement vétuste d’un immeuble où vivent peu d’habitants et je souhaitais qu’on aperçoive des gratte-ciels derrière l’immeuble. Le quartier où nous avons fini par tourner est très particulier. C’était tout près du célèbre hôpital Saint-Luc qui n’a pas été bombardé pendant la guerre. Du coup, ce coin a été épargné, alors que les quartiers tout autour sont très construits. Quand on se balade là-bas, on trouve encore plusieurs anciennes imprimeries et on entend le bruit des rotatives. C’est un endroit qui a échappé à l’avidité des promoteurs immobiliers. C’était très proche de l’idée que je me faisais du quartier où je voulais tourner, et on y a donc choisi un immeuble qu’on a utilisé comme décor.

C’est la première fois que vous travaillez avec des comédiens et des techniciens originaires de plusieurs pays d’Asie. Pourquoi avez-vous confié le rôle-titre à l’actrice coréenne Bae Doona ?
Je l’ai découverte dans TAKE CARE OF MY CAT, où elle m’avait vraiment impressionné, et elle est tout aussi formidable dans BARKING DOGS NEVER BITE et LINDA LINDA LINDA. Je l’adore. Pour autant, c’est difficile de diriger une comédienne étrangère à Tokyo. Mais avec ce film, je me suis dit qu’on pouvait y arriver parce qu’au départ elle a peu de dialogues.
Elle a une excellente oreille et sa prononciation est parfaite. Ses séances de maquillage prenaient un temps infini. Du coup, elle en profitait pour relire ses scènes et je l’ai même vue pleurer pendant qu’elle essayait d’entrer dans la peau de son personnage. On ne tournait pas dans l’ordre chronologique, mais elle arrivait parfaitement à incarner le personnage et à exprimer les émotions avec justesse dans chaque scène. Elle a su trouver le rythme qu’il fallait donner à ses émotions par rapport à l’intrigue. Elle est extrêmement sensible et c’est une grande professionnelle. Je tiens à lui rendre hommage.

Comment s’est passée votre collaboration avec le chef-opérateur d’origine taïwanaise Mark Lee ?
En général, je n’aime pas trop les mouvements de caméra, mais cette fois, j’ai vraiment apprécié les mouvements d’appareil de Mark, et j’en ai été le premier surpris. Il fait beaucoup de travellings, mais sans jamais être démonstratif. Ses mouvements de caméra ne sont jamais gratuits. Avant de faire un travelling, il réfléchit très précisément au type de plan qu’il s’apprête à tourner et il s’efforce de comprendre les émotions de ses personnages. C’est toujours sa priorité. Ce qui m’avait plu dans IN THE MOOD FOR LOVE, c’était sa manière de filmer les comédiens avec des objets en arrière-plan. Je lui ai demandé de faire la même chose pour mon film de temps en temps et, là encore, il a été formidable. Ce qui m’a également surpris, c’est à quel point j’ai redécouvert d’un ?il neuf les maisons japonaises et l’environnement urbain grâce à son regard. En général, les travellings sur tatamis ne fonctionnent pas, mais il s’en est sorti admirablement.

La dernière fois que vous avez travaillé avec Arata, c’était il y a huit ans dans DISTANCE. Pourquoi avez-vous de nouveau fait appel à lui ? Par ailleurs, pourquoi avez-vous confié le rôle du type frustré, Hideo, à un acteur aussi célèbre qu’Itao Itsuji ?
J’aime beaucoup Arata, et en particulier sa voix. Depuis quelque temps, il joue des personnages étranges. Du coup, j’ai un peu hésité à lui offrir le rôle, mais c’est à lui que je pensais depuis le début et j’ai donc suivi ma première intuition. Il s’est vraiment épanoui depuis AFTER LIFE et il a un vrai regard sur le métier d’acteur.
Je trouve qu’Itao est davantage un acteur brillant qu’un comédien. Cela fait un bon moment que je voulais travailler avec lui, et il est aussi brillant que je le pensais. Je n’ai pas vraiment envie d’en parler, mais dans la toute première scène, la caméra s’attarde sur Itao qui jette un ?il à travers la fenêtre d’un train. Il se penche sur la fenêtre et on y aperçoit alors son reflet, ainsi qu’un couple enlacé au premier plan. Au moment du tournage, je me suis contenté de lui demander de regarder par la fenêtre, mais en visionnant les rushes, j’ai vu qu’Itao s’appuyait contre … son double sur la fenêtre ! Je ne sais pas s’il l’a fait exprès, mais j’aurais aimé que ce soit mon idée ! (rires)

Et Odagiri Joe, le fabricant de poupées ? Son personnage est-il une métaphore de Dieu ?
Pour moi, ce personnage est davantage un créateur ou un père que Dieu. Il me fait penser au docteur Frankenstein. J’ai discuté avec un fabricant de poupées chez Orient Industry, le plus important atelier de fabrication de poupées grandeur nature du Japon, et je l’ai trouvé passionnant. Il s’efforce de dissimuler les coutures sur le corps de ses poupées, de les maintenir à une température constante et de donner à leurs lèvres une texture humaine. C’est un vrai professionnel qui n’oublie jamais les moindres détails. Mais dans le même temps, quand on a abordé des sujets plus philosophiques et qu’on s’est demandé ce qui se passerait si les poupées avaient une âme, ce qu’il m’a dit m’a vraiment impressionné. En réalité, pour la plupart des dialogues d’Odagiri, je me suis inspiré des conversations avec le fabricant de poupées – comme, par exemple, la scène où il dit “Est-ce que tout ce que tu as vu en ce monde était triste ?” Pour les scènes plus philosophiques, Odagiri est le seul jeune comédien japonais qui ait suffisamment de présence pour rendre son personnage convaincant.

Ce film marque-t-il une rupture nette avec vos précédents longs métrages ?
Je crois que mon approche a changé pour ce film, notamment en ce qui  concerne mon usage de la musique. Mais je n’arrive pas à envisager mes films de manière chronologique. Au fond, j’ai tendance à m’ennuyer rapidement (rires). Si mon film est un cercle et que je suis au centre de ce cercle, je cherche à chaque fois à élargir ce cercle dans toutes les directions possible. Je peux me concentrer sur la narration, puis sur la dimension physique du corps humain etc. Ce film est un nouveau défi que je me suis lancé.