Ava de Léa Mysius
Film soutenu

Ava

Léa Mysius

Distribution : Bac Films

Date de sortie : 21/06/2017

France • 2017 • 1h45 • 1.85 • 5.1

Ava, 13 ans, est en vacances au bord de l’océan quand elle apprend qu’elle va perdre la vue plus vite que prévu. Sa mère décide de faire comme si de rien n’était pour passer le plus bel été de leur vie. Ava affronte le problème à sa manière. Elle vole un grand chien noir qui appartient à un jeune homme en fuite…

PRIX SACD – Semaine de la Critique – Festival  de Cannes 2017

Avec : AVA Noée ABITA • MAUD Laure CALAMY
JUAN Juan CANO • JESSICA Tamara CANO

PRODUCTEURS Jean-Louis LIVI et Fanny YVONNET • REALISATRICE Léa MYSIUS • AUTEUR Léa MYSIUS et Paul GUILHAUME • DIRECTEURS DE CASTING Judith CHALIER et François GUIGNARD • 1ERE ASSISTANTE REALISATRICE Elodie ROY • SCRIPTE Morgane AUBERT • CHEF DECORATRICE DESIGN Esther MYSIUS • PHOTOGRAPHIE Paul GUILHAUME • 1ER ASSISTANT OPERATEUR Cyrille HUBERT • CHEF OPERATEUR SON Yolande DECARSIN • CHEF COSTUMIERE Elisa INGRASSIA • DIRECTEUR DE PRODUCTION Patrick ARMISEN • CHEF MONTEUR IMAGE Pierre DESCHAMPS • CHEF MONTEUR SON Alexis MEYNET • SUPERVISEUR MUSICAL Martin CARAUX • MUSIQUE ORIGINALE Florencia DI CONCILIO

Léa Mysius

Après des études de Lettres, elle est diplômée de La fémis en scénario en 2014. Elle réalise trois courts-métrages sélectionnés et primés dans de nombreux festivals : Cadavre exquis, Les Oiseaux-tonnerre sélectionné à la Cinéfondation et L’Ile jaune co-réalisé avec Paul Guilhaume. Elle co-écrit aussi avec d’autres réalisateurs notamment avec Arnaud Desplechin.
Ava est son premier long-métrage.

ENTRETIEN AVEC LÉA MYSIUS

Quel a été votre parcours avant Ava ?
J’ai commencé à écrire très jeune, je voulais être écrivain. J’ai grandi à la campagne, dans le Médoc, là où nous avons tourné Ava. Quand nous étions enfants, mes parents nous ont montré beaucoup de films avec ma soeur jumelle, Esther. Nous adorions Freaks et La Nuit du chasseur. Nous passions aussi beaucoup de temps dans les bois et sur les plages désertes comme celles que l’on voit dans le film. Et puis à treize ans nous avons déménagé à l’Ile de La Réunion, mon désir de littérature s’est transformé en désir d’images et de sons et je me suis dit que je voulais faire du cinéma. Après le bac, je suis revenue en métropole pour faire une prépa lettres puis j’ai tenté le concours de La fémis. Je suis entrée dans la section scénario pour apprendre à raconter des histoires. J’ai beaucoup aimé le cursus à La Fémis. On écrit énormément, on a peu de cours théoriques, on rencontre des gens très intéressants… Et on a le temps d’expérimenter plein de choses à côté. C’est comme ça que j’ai tourné mon premier court-métrage Cadavre exquis pendant les vacances d’été avec et des élèves de ma promotion avec qui je suis restée très soudée. J’ai créé petit à petit une famille. Sur Ava, j’étais entourée d’une équipe très jeune et très unie. J’aime travailler avec mes amis et ma famille – mon compagnon, ma sœur et mes deux frères ont participé au film. Pour la majorité d’entre nous c’était une première expérience de long-métrage. Tout le monde était motivé, compétent, agréable. Le film s’est tourné dans la joie.

Comment est né le scénario d’Ava ?
Ava est mon scénario de fin d’étude. J’ai dû l’écrire très vite parce que j’étais en retard pour le rendu. Il est né de cette vision d’un chien noir, famélique, étrange qui traverse une plage bondée, pleine de chair, de cris et de crème solaire. L’image du chien noir était déjà présente dans un de mes courts-métrages, Les Oiseaux-tonnerre. J’avais envie avec ce scénario d’explorer plus loin. Le chien ici est une sorte de guide entre les gens, les lieux. Il fait la jonction entre l’artificiel et le sauvage, entre le réel et le fantasme. Il accompagne Ava dans ce voyage vers la sensualité et la sexualité. C’est lui qui la mènera vers Juan. La jeune fille, d’abord intéressée par le chien (d’aveugle) finira par s’intéresser au maître. Elle passe de l’enfance à l’âge adulte.

Comment est venue l’idée que l’héroïne perde la vue ?
Pendant cette période d’écriture, j’ai eu des migraines ophtalmiques assez violentes qui m’ont forcée à écrire dans le noir. Comment faire pour vivre dans le noir ? Comment faire surtout quand c’est irrémédiable? Je me suis intéressée à cette maladie dégénérative, la rétinite pigmentaire. Les personnes atteintes ont leur vision circonscrite à un cercle. Autour, c’est noir. D’abord on perd sa vision nocturne puis peu à peu le cercle se referme. Cette image m’a ramenée à des peurs primitives d’enfant. J’ai ainsi imaginé le personnage d’Ava, treize ans, butée et solitaire, qui apprend qu’elle va perdre la vue plus vite que prévu, d’ici quelques mois. Forcée de partager cette nouvelle avec sa mère, Maud, avec qui elle a des rapports compliqués, la jeune fille va tout faire pour trouver sa propre manière d’affronter le problème. Elle découvre alors petit à petit ses autres sens, comprend qu’elle a un corps et qu’elle peut s’en servir tout en le mettant à l’épreuve, exaltée par le danger. Le film est le récit initiatique d’une jeune fille à la période charnière de l’adolescence mais c’est aussi le récit de l’acceptation d’une maladie.
Au début de l’histoire, Ava est dégoûtée par le corps – ceux étendus sur la plage, vautrés et indécents, celui de sa mère qui baise avec des hommes, celui de sa petite soeur qu’elle considère comme un tube digestif dégueulasse. Perdre la vue oblige Ava à être dans son corps. Devenir aveugle la contraint aussi à accepter d’avoir besoin des autres et à leur faire confiance. La construction de sa personnalité d’adulte et de sa sexualité est accélérée. Elle doit avoir lieu avec et contre la cécité prochaine mais aussi, comme pour d’autres jeunes filles, avec et contre le corps de sa mère; avec et contre l’image du corps renvoyée par la société contemporaine.
La perte de la vue devient métaphorique devant l’inquiétude de la «vague noire». Le monde s’obscurcit. Aux dernières élections, la pointe du Médoc était noire sur la carte. Près de 30% des électeurs votent Front National. Si j’ai préféré ne pas nommer de lieu en particulier dans le scénario, c’est pour ne pas évoquer une montée de l’extrême droite dans un espace circonscrit mais en faire quelque chose de plus vaste qui peut toucher n’importe quelle commune française. Si l’on veut inscrire Ava dans le monde d’aujourd’hui, il me semble essentiel d’en parler. Le personnage de Mathias est celui qui exprime le plus clairement cet enjeu. Il chuchote à Ava « C’est bientôt la fin de notre civilisation, lis les journaux, regarde autour de toi, tu n’y verras que du noir… ».

Vous êtes-vous inspirée de votre adolescence pour écrire ce film ?
Il y a forcément beaucoup de choses de moi dans ce film mais ce n’est pas autobiographique pour autant. Les décors sont les lieux de mon enfance et les personnages et les situations sont inspirés de choses que je connais ou que j’ai lues, vues. Ava a un rapport compliqué avec sa mère, c’est assez courant à l’adolescence. Dans le rapport mère-fille, ce qui m’intéressait c’était aussi le rapport entre deux générations : la mère, soixante-huitarde, libre, à l’aise avec son corps, et sa fille, beaucoup plus pudique, inquiète du présent et de l’avenir et presque plus conservatrice parfois. Ava va apprendre à s’ouvrir, notamment au contact de Juan et parce qu’à cause de sa maladie, il faut qu’elle apprenne à faire confiance aux autres.
Le personnage de Juan est inspiré d’un garçon que j’ai connu, jeune gitan grande gueule du collège qui me troublait quand j’étais enfant et qui déjà se faisait rejeter violemment par profs et élèves parce qu’il était gitan. Ça me révoltait. Mais il n’a été qu’une inspiration lointaine, Juan Cano qui interprète le jeune homme dans le film lui a donné son corps, son histoire et même son nom.

Comment avez-vous choisi les interprètes d’Ava ?
Noée Abita, qui joue Ava, avait fait le mur avec une copine, elles voulaient s’inscrire dans une agence de comédiens, et on leur a donné l’annonce de notre casting. Elles sont venues nous voir. C’était notre premier jour de casting, on a eu une chance incroyable.
Noée est entrée dans la pièce. On a tout de suite su avec Judith Chalier, la directrice de casting, que c’était Ava. Elle avait ce regard et ce visage si intenses et particuliers. C’était un moment très fort. En plus, Noée avait 17 ans et faisait très jeune. Il nous fallait trouver quelqu’un de plus de 16 ans mais qui en fasse 13 pour des questions de production et pour ne pas brusquer une trop jeune comédienne avec des scènes de nu. Noée avait vraiment toutes les qualités !
Juan a été plus compliqué à trouver, on a fait du casting sauvage avec un autre directeur de casting, François Guignard. On a été dans une cinquantaine d’aires de gens du voyage autour de Paris, puis dans le Sud de la France. On a vu environ trois cents personnes, et on l’a trouvé à côté de Bordeaux. Je l’ai aperçu tout timide sous sa casquette et j’ai su tout de suite, comme pour Noée, que ça allait être lui. C’était un deuxième coup de foudre. Juan est gitan andalou, il parle couramment espagnol et il m’a appris énormément de choses. Il a vraiment nourri le film.
Quant à Laure Calamy, qui joue la mère, j’avais pensé à elle dès l’écriture, avant même d’avoir trouvé Noée. J’ai quand même tenu à voir d’autres comédiennes pour être sûre,
mais dès qu’on a fait les essais avec Laure, c’était évident. Elle est très bonne comédienne, elle est naturelle, belle, libre dans son corps. Et en plus elles se ressemblent avec Noée !
Après il y a eu tout le travail en amont du tournage. Nous avons beaucoup travaillé avec Noée pour qu’elle compose son personnage. C’était la première fois qu’elle allait jouer. Il fallait quand même qu’elle se mette dans la peau d’une jeune fille de 13 ans qui a des problèmes de vue. On a beaucoup travaillé sur le corps, la démarche, la manière de poser sa voix, son regard, de trouver le naturel… Avec Juan ça a été différent. Il a un tel naturel que ce n’était pas cela qu’il fallait travailler. C’était plutôt tout l’aspect plus sensuel du rôle. Juan est un garçon assez pudique, il fallait qu’il se sente à l’aise pour jouer l’amant d’Ava.
Ce qui était passionnant c’est que chaque comédien avait vraiment sa manière d’aborder le jeu et que je devais m’adapter.

Comment avez-vous rencontré vos producteurs ?
Ava est produit par F comme Film et Trois Brigands Productions, l’association parfaite entre l’expérience et la jeunesse. Jean-Louis Livi avait vu le court-métrage que j’avais fait en sortant de La fémis, Les Oiseaux-tonnerre, et notre rencontre a été tout de suite évidente et passionnante autour du scénario d’Ava. J’avais rencontré Fanny Yvonnet quelques années plus tôt au Festival de Clermont-Ferrand alors que j’y montrais mon premier court-métrage. Nous avons décidé de monter une boîte de production ensemble avec Paul Guilhaume, le chef-opérateur d’Ava.
J’ai beaucoup de chance d’avoir pu travailler avec Jean-Louis et Fanny. J’ai toujours eu une très grande liberté tout en étant guidée, conseillée, du scénario à la post-production du film. Nous avons pu tourner en 35mm ce qui n’était vraiment pas gagné pour un premier long-métrage mais Jean-Louis et Fanny ont tout fait pour rendre cela possible. Je leur en suis très reconnaissante.
Pourquoi cela était-il important pour vous de tourner en 35mm ?
C’est Paul Guilhaume, le chef-opérateur, qui m’a décomplexée par rapport à ce support. C’est vrai qu’on nous répète sans cesse depuis le début du numérique que c’est la fin de la pellicule, que c’est nostalgique et dépassé de vouloir tourner en pellicule et surtout que c’est beaucoup trop cher. Nous avons tourné L’Ile jaune un court-métrage en 16mm quelques mois avant Ava. Ça m’a permis de me rendre compte que je ne tournais finalement pas beaucoup – pour Ava nous avons tourné moins d’une heure de rushes par jour – et que je pouvais me permettre de tourner en pellicule. Ce qui m’intéressait dans le 35mm c’était la matière et la couleur. Ava est un film sur le corps et les éléments : le vent, le sable, l’eau… la matière en général. C’est un film d’été plein de couleurs et de soleil. Je voulais une image sublimée. Même si on arrive à faire de belles choses en numérique, je trouve que c’est plus difficile d’y faire émerger autant de force et de poésie qu’en pellicule.

Quels étaient vos principes de mise en scène ?
Je n’ai pas vraiment de principes mais plutôt une pratique. J’écris le scénario toujours en fonction de décors – que je connais avant ou qu’on trouve bien en amont – et j’aime faire le découpage à l’avance avec le chef-opérateur. Nous avons beaucoup préparé ensemble avec Paul Guilhaume et Esther Mysius, la décoratrice, parce que pour nous les décors font la lumière et la lumière fait les décors. C’est un vrai travail d’équipe. Quand on arrive sur le plateau, on sait où poser la caméra et quels plans on va faire même si on s’adapte aux imprévus et aux comédiens. Ça laisse une grande liberté sur le moment pour changer des choses ou travailler le jeu des comédiens parce qu’on sait qu’on part d’une base réfléchie. Et tout le monde peut anticiper les choses à son poste. C’est très rassurant.
Par exemple, nous avons pu travailler en amont avec le dresseur, Samuel Haye, qui savait exactement ce que devait faire le chien Lupo et comment on allait le filmer. Nous n’avons jamais perdu de temps. C’était un défi parce que le chien est un vrai personnage dans le film. Il est à la fois réel et fantasmé, comme s’il sortait d’un cauchemar d’Ava…

D’où vient le cauchemar d’Ava? Etait-il difficile à mettre en scène ?
Je voulais qu’on tombe dans ce cauchemar sans qu’on s’en aperçoive comme parfois quand on rêve et qu’on ne sait plus si c’est la réalité ou non. Je voudrais que le spectateur se fasse attraper sans être vraiment consentant. Le cauchemar dans le film est pornographique dans le sens où il montre tout. Les images sont crues, agressives. J’aimerais qu’on ressente l’effroi et la violence qu’on éprouve dans un vrai cauchemar. C’est un rêve évidemment très sexuel – sur la sexualité d’Ava, de sa mère – mais aussi sur son rapport à sa petite soeur qu’elle jalouse et au monde extérieur qui la terrifie. Je voulais aller aussi loin dans la transgression des tabous qu’on peut le faire dans nos rêves : le clitoris de la mère, l’exécution du bébé… Tout cela dans un obscurcissement progressif jusqu’au plan surréaliste où Ava avale son œil.
J’ai essayé dans la mise en scène de rendre ce côté à la fois elliptique et très étrangement lié dans l’espace et le temps. Pour cela nous avons travaillé avec Pierre Deschamps, le monteur, à faire disparaître des personnages ou à les téléporter en jouant une fausse continuité, comme s’il n’y avait pas de coupe. Nous avons aussi travaillé en étalonnage avec Christophe Bousquet pour rendre la sensation d’un monde qui s’obscurcit. Nous voulions que le noir arrive de manière insidieuse, que le spectateur plisse les yeux pour voir sans qu’il s’aperçoive pour autant que l’image est de plus en plus sombre.
Montrer ce cauchemar me semblait très important. D’abord parce qu’on épouse totalement le point de vue d’Ava et que c’est essentiel de le vivre avec elle. Et ensuite parce que je voulais mélanger les genres : au début du film, on est dans un registre assez naturaliste, puis peu à peu on bascule vers le conte et le film de genre. Ava qui a peur « de n’avoir vu que de la laideur » préfère le romanesque au naturalisme, le surréalisme au réalisme. Elle veut réenchanter le monde. Le film suit son trajet. Faire cohabiter ces différents types de narration a été une des plus grandes difficultés au montage. Un des éléments qui nous a beaucoup aidés fut la composition originale de la musique. Il fallait que tout de suite la musique donne le ton : nous ne sommes pas dans un film seulement naturaliste. Lors de notre première rencontre, Florencia Di Concilio, la compositrice, m’a dit du scénario : « On dirait une aventure dans l’esprit d’Ava avec tout ce qu’il y a de fantasmagorique, de romanesque et de réel ». Je trouvais que c’était un bon angle d’attaque pour aborder la composition.

Comment avez-vous travaillé avec la compositrice ?
Je voulais quelque chose de très organique, avec des cordes et des sons concrets, des frottements, des grattements, des bruits très proches pour sentir la matière. La musique originale devait avoir quelque chose de primitif. A l’image du chien noir qui traverse la plage bondée du début du film, je souhaitais que la musique habite les images en contre-point des musiques additionnelles. Qu’elle soit souterraine, physique, qu’elle déstabilise et bouscule l’inconscient pour faire émerger l’émotion. Avec Florencia, nous avons abordé le film de manière artisanale et empirique. Nous avons donc décidé de l’enregistrer avec des micros très proches de l’instrument et du musicien pour chercher un son brut, assez sale. Notre idée était de faire surgir une harmonie tonale de la musique d’abord chaotique et agressive. Au fur et à mesure qu’Ava devient aveugle ses sens se développent, elle s’ouvre, fait confiance aux autres, tombe amoureuse. Le même thème se déploie petit à petit jusqu’à se résoudre. L’harmonie se trouve. Parce qu’en définitive, Ava est une histoire d’amour.