Film soutenu

Canine

Yorgos Lanthimos

Distribution : Mk2 Diffusion

Date de sortie : 02/12/2009

Grèce – 2009 – 1h36 – 35 mm – 2.35 – Dolby Digital

Un père, une mère et leurs trois enfants vivent dans une maison en pleine campagne. Un haut mur entoure la maison. Les enfants ne l’ont jamais quittée.  Ils ont été élevés, divertis, ennuyés et éduqués comme leurs parents l’entendaient :
sans aucune influence du monde extérieur. Les enfants croient que les avions qui survolent leur maison sont des jouets et que les zombies sont des petites fleurs jaunes.  La seule personne à pouvoir pénétrer dans la maison est Christina, agent de sécurité dans l’entreprise du père. Il s’arrange pour que Christina vienne à la maison pour  qu’elle assouvisse les besoins sexuels du fils.  Toute la famille adore Christina, particulièrement la sœur ainée. Un jour, Christina lui offre comme cadeau un serre-tête décoré de pierres qui brillent dans le noir et en échange, elle lui demande quelque chose…

Prix un Certain Regard – Fondation Groupama Gan pour le cinéma – Festival De Cannes 2009

réalisation Yorgos Lanthimos • scénario Yorgos Lanthimos, Efthimis Filippou • image Thimios Mpakatakis • son Leandros Ntounis • montage Yorgos Mavropsaridis • direction artistique Elli Papageorgakopoulou • producteur Yorgos Tsourgiannis • producteur executif Iraklis Mavroidis • producteur associé Athina Tsangari • directeur de production Stavros Chrisogiannis • production Boo Productions • coproducteurs Centre du Cinéma Grec, Yorgos Lanthimos, Horsefly Productions •

Canine [extraits]

Tourné en cinq semaines avec un petit budget à la fin d’un été grec torride, le drame CANINE de Yorgos Lanthimos évoque une famille de cinq membres vivant dans l’isolement et dont les enfants ne quittent jamais la propriété familiale (« pas avant que ta canine ne tombe »). Leurs parents se chargent de leur éducation scolaire et de leurs divertissements d’une étrange manière, de sorte que leur peur de l’extérieur croît à mesure que s’accentue leur dépendance par rapport à la protection que leur offrent leurs géniteurs.

Canine explore la manière dont un « pater familias » dominateur (Christos Stergioglou) arrive à contrôler et rendre tout le monde dépendant, de la mère (Michelle Valley) au fils (Hristos Passalis) et aux filles (Aggeliki Papoulia et Mary Tsoni) en passant par les gens qu’ils choisit soigneusement avant de les amener à sa famille. Yorgos Lanthimos dessine ici la dystopie d’une famille « aseptisée » par peur d’être contaminée par des influences que le père juge inappropriées parce qu’elles pourraient heurter ce qu’il pense être une bonne éducation.

Yorgos Lanthimos utilise des cadrages légèrement tordus pour refléter la perspective déformée de cette famille : les enfants tiennent à peine dans l’écran de manière à souligner la disproportion entre leur croissance physique et leur âge mental. Le réalisateur souligne amplement cette antithèse sans craindre d’insister trop lourdement.

La toile de fond du récit est une parabole sur la manière dont un meneur de groupe arrive à diluer et altérer la perception qu’a le groupe de la réalité en le cernant sans relâche de murs de mensonges ridicules, des murs qui garantissent non seulement que
personne n’échappera à la manipulation mais aussi que les captifs le considèreront même comme une protection.

Lanthimos et son co-scénariste Efthymis Filippou ont truffé le scénario d’implications socio-politiques polies par le sens de l’humour le plus caustique que le cinéma grec ait vu depuis longtemps, et bien que les gags puissent ne pas plaire à tous, l’excellente interprétation des acteurs, jeunes et adultes, charge le film de l’ambiance assez légère d’une comédie mordante, douce-amère et un peu absurde et en fait une expérience étrange mais drôle autour d’un sujet qui semble au départ difficile.

Les auteurs ont entouré leur film de secret, de même que les protagonistes du film protègent leurs enfants, mais le premier contact de Canine avec le reste du monde a porté ses fruits : chargé de la lourde responsabilité d’être le premier long métrage grec en sélection officielle à Cannes après plus d’une décennie (depuis la Palme d’or de Theo Angelopoulos pour L’éternité et un jour en 1998), Canine a été accueilli avec un énorme enthousiasme par la presse grecque et internationale lors de son avant-première.

« Le prix remporté à Cannes est un honneur monumental pour le cinéma grec en général », estime le producteur Yorgos Tsourgiannis, de la toute nouvelle société grecque Boo Productions. Pour lui, « le fait que des films grecs arrivent réellement à se faire remarquer à l’étranger est une motivation pour tous les gens qui travaillent dans le cinéma en Grèce à travailler encore plus, même si l’on n’aperçoit pas encore de changements dans la manière dont nous faisons les choses ».

Tsourgiannis se réfère aux problèmes concernant les aides de l’État au cinéma. « Mais c’est bien de savoir que notre voix peut se faire entendre au-delà de nos frontières », conclut le producteur.

Joseph Proimakis, Cineuropa


Entretien avec Yorgos Lanthimos

Yorgos Lanthimos, vous êtes encore inconnu du grand public français. Comment êtes vous venu au cinéma ? 
Très jeune j’ai regardé toutes sortes de films. Des westerns spaghettis avec Bud Spencer en passant par les films de Bruce Lee. Petit à petit cela m’a amené à découvrir d’autres genres et finalement j’ai fait des études de cinéma.

Vous avez déjà une expérience en tant que cinéaste. Parlez-nous de votre premier film. 
Mon premier film est un court métrage très inspiré par John Cassavetes. Dans l’esprit du cinéma vérité : je filme un groupe d’amis qui tente de faire un porno musical… Kinetta, mon premier long métrage, se déroule dans une ville balnéaire grecque déserte et met en scène un flic, une femme de chambre et un photographe, tous les trois engagés dans la répétition de scènes

Votre film sort en salle à une semaine d’intervalle d’un autre film grec (Strella de Panos H. Koutras). Peut-on à votre avis parler de Nouvelle Vague du cinéma grec ?
Il n’y pas de Nouvelle Vague au sens où nous partageons un style commun. On peut simplement dire qu’aujourd’hui les films grecs sont bien meilleurs qu’il ya cinq ans. Il n’y a jamais eu de tradition en Grèce, ni de groupe ni de mouvement commun. Il y quelques grands réalisateurs isolés qui ont fait une poignée de beaux films. Espérons que cela change ! Aujourd’hui, on n’a pas d’école de cinéma. Il n’existe pas d’environnement encourageant. Faire des films en Grèce relève d’une véritable gageure.

Combien a coûté votre film ? Comment s’est déroulé le tournage ? 
Mon film s’est monté avec un budget estimé à 250 000 euros… Mais beaucoup de personnes n’ont pas encore été payées et ceux qui l’ont été, ont reçu beaucoup moins que ce à quoi ils s’attendaient… J’ai choisi les acteurs en commençant par le choix des enfants qui sont au devant de la scène du film. Je pensais déjà à Aggeliki Pappoulia pour la sœur ainée et j’avais déjà travaillé avec Christos Passalis auparavant ; je savais qu’il pouvait jouer le frère. Et j’aimais Mary Tsoni, je l’avais vu chanter pour son groupe. Pour le rôle du père, j’ai essayé de trouver un homme qui corresponde exactement à l’image que je me faisais de lui : c’est Christos Stergioglou que j’ai donc choisi, un acteur de théâtre génial. Et pour la mère, Michelle Valley, je l’avais découverte dans les films de Nikos Nikolaidis. Le tournage a été très difficile. Nous avons dû tourner pendant le mois d’août à Athènes alors que tout était fermé. C’était un véritable calvaire pour obtenir du matériel pour le tournage. Nous avons utilisé une seule maison, après en avoir visité de nombreuses. Il a juste fallu la bricoler un peu pour les besoins du scénario.

Comment en êtes vous venu à écrire Canine ? 
J’ai essayé d’imaginer à quoi ressemblerait la famille dans quelques années. Quelle serait sa forme ? Et si elle disparaissait, jusqu’où pourrait aller un homme pour garder sa famille soudée ? Aujourd’hui mon film décrit un univers fermé, une maison où les enfants ignorent tout du reste du monde. L’extérieur n’y est jamais montré et son existence repose sur notre imagination. Je n’ai pas voulu écrire une allégorie ou faire le film-métaphore d’un système politique. Par contre j’aimerais que l’on puisse s’y retrouver, associer son expérience intime. Je voulais que le film soit à la fois beau et gênant. J’essaie de jouer
sur les limites des genres. De l’horreur, du drame, du comique, de l’absurde pour engager le spectateur activement dans un va-et-vient émotionnel, pour qu’il s’interroge sur lui même. La famille que je décris n’est pas horrible – c’est ce qui leur arrive qui est horrible parce qu’il n’y a pas d’échappatoire et qu’une chose pareille peur arriver partout ailleurs… La famille est un sujet qui m’amuse énormément.

Chez vous le jeu est le ressort du drame.
Socialement, le jeu occupe des fonctions diverses. D’abord il tue l’ennui, fait passer le temps et puis il permet parfois d’apprendre des choses. Mais le jeu recouvre une autre fonction, il permet de faire des choses qui seraient inacceptables dans la vie réelle, il permet de dépasser les règles sociales.

Votre film peut faire penser au cinéma de Michael Haneke, quelles sont vos inspirations cinématographiques ?
Le cinéma de Michael Haneke est sans humour, très différent du mien. Le jeu est très important pour moi. Si vous voulez parler du minimalisme, c’est quelque chose que je partagerais plutôt avec Bresson. Cassavetes est quelqu’un qui m’a aussi beaucoup impressionné. Mais ce sont plutôt des films « pas sérieux » qui m’ont donné envie de faire du cinéma.

Propos recueillis par Donald James, Trois couleurs