Grass de Hong Sangsoo
Film soutenu

Grass

Hong Sangsoo

Distribution : Les Acacias

Date de sortie : 19/12/2018

Corée du Sud - 2017 - 1h06 - DCP - 1.89 - 5.1 - Noir et blanc

Au bout d’une allée, un café que personne ne s’attendrait à trouver. Les gens s’assoient et parlent de leur vie. Au fil du temps, les clients se côtoient et apprennent à se connaître. Une femme les observe et semble mettre par écrit leurs pensées. La nuit commence à tomber mais tous restent dans le café.

“ Entre mélancolie, drôlerie et cruauté, le petit théâtre d’Hong Sangsoo se livre une nouvelle fois aux délices d’un jeu narratif aussi conceptuel qu’aérien, à un propos existentiel aussi profond que badin. ”  LES INROCKUPTIBLES

Festival du Film de Berlin – Forum – 2018
Festival des 3 continents – 40eme Édition – 2018
Festival du Film de Belfort 2018

Avec : Areum Kim Minhee • Kyungsoo Jung Jinyoung • Changsoo Ki Joobong • Sunghwa Seo Younghwa • Jiyoung Kim Saebyuk • Hongsoo Ahn Jaehong • Mina Gong Minjeung

Réalisation et scénario Hong Sangsoo • Photographie Kim Hyungkoo • Son Kim Mir • Montage Son Yeonji • Musique Franz Schubert, Richard Wagner, Jacques Offenbach, Johann Pachelbel • Directeur de production Jo Heeyoung • Production Jeonwonsa Film Co.

Hong Sangsoo

Fils de parents divorcés, un officier de l’armée sud-coréenne, et une employée de maison de production de films, Hong Sangsoo découvre le cinéma en regardant les films hollywoodiens à la télévision. Au cours d’une conversation bien arrosée, un homme de théâtre suggère à ce garçon désoeuvré de se lancer dans la mise en scène. Hong Sangsoo s’inscrit alors à l’université de Chungang, à Séoul, dans le département « théâtre et cinéma ». Il part ensuite vivre aux Etats-Unis, étudiant au College of Arts and Crafts de Californie et à l’Art Institute de Chicago, où il réalise plusieurs courts métrages expérimentaux.
Il réalise en 1996 son premier long métrage, Le Jour où le cochon est tombé dans le puits suivi deux ans plus tard du Pouvoir de la province de Kangwon et en 2000 de La Vierge mise à nu par ses prétendants. Salués par la critique et primés dans les festivals (Rotterdam, Vancouver, Pusan), ces trois films sortiront en France en 2003. Sangsoo y décrit avec un remarquable sens du détail le quotidien de jeunes Coréens, leurs relations de couple conflictuelles et leur malaise existentiel latent.
Suivront trois oeuvres coproduites par la France, Turning Gate en 2002, La femme est l’avenir de l’homme en 2004 et Conte de cinéma en 2005. Avec Woman on the Beach (2007), Night and Day (2008) et Les Femmes de mes amis (2009), le cinéaste confirme ses obsessions. Oscillant toujours entre l’expérimentation conceptuelle et le réalisme.
Ha Ha Ha et Oki’s Movie, réalisés en 2010, et Matins calmes à Séoul (The Day He arrives) en 2011, confirment le fait que, si chacun des titres semble répéter le précédent, il s’en distingue toujours subtilement et essentiellement.
En 2012, In Another Country dans lequel joue Isabelle Huppert est présenté en compétition officielle au Festival de Cannes.
En 2013, Haewon et les hommes (Nobody’s Daughter Haewon) est sélectionné au festival de Berlin. Sunhi (Our Sunhi) est présenté au festival du film asiatique de Deauville et reçoit le prix de la mise en scène au festival de Locarno. En 2014, Hill of Freedom reçoit la Montgolfière d’Or au festival des trois Continents à Nantes.

Filmographie

2018 Hotel by the river
2017
Grass
2017 Le jour d ‘après
2017 La caméra de Claire
2017 Seule sur la plage la nuit
2015 Un jour avec, Un jour sans
2014 Hill of freedom
2013 our Sunhi
2012 Haewon et les hommes
2012 In Another Country
2011 The Day he arrives (Matins calmes à Séoul) 
2010 Oki’s movies
2010 ha ha ha
2009 Les femmes de mes amis
2008 Night and Day
2007 Woman on the beach
2005 Conte de cinéma
2004 La femme est l’avenir de l’homme
2002 Turning gate
2000 La vierge mise à nu par ses prétendants
1998 Le pouvoir de la province de Kangwon
1996 Le jour où le cochon est tombé dans le puits

ENTRETIEN (EXTRAITS) AVEC KIM HYUNG-KOO, LE DIRECTEUR DE LA PHOTOGRAPHIE DES FILMS DE HONG SANGSOO

Propos recueillis par Celia de www.cinemacoreen.fr
Traduction par LEE Young-joo

Ayant travaillé jusqu’à neuf fois avec M. Hong Sangsoo, pouvez-vous revenir sur votre rencontre ?
Il y a à peu près une quinzaine d’années, M. Hong et moi étions professeurs dans la même école de cinéma, nous étions collègues et nous nous croisions souvent dans les couloirs entre les cours. J’avais beaucoup de travail, j’étais très demandé et assez occupé. De temps en temps, M. Hong me proposait de travailler avec lui, mais je pensais que c’était juste pour parler (rires). Finalement, entre deux films j’ai eu un peu de temps libre, et à ce moment-là M. Hong renouvela sa proposition, qui apparemment était sérieuse. J’ai donc accepté, et c’est à partir de ce moment là que l’on a pu travailler sur notre premier film La femme est l’avenir de l’homme en 2003.

Qu’est-ce qui vous a amené à travailler en noir et blanc sur certains films et en couleur sur d’autres ? M. Hong, a-t’il une idée très précise dès le départ, ou est-ce vous qui lui suggérez ?
C’est toujours M. Hong qui a l’idée de départ. Avec lui, on ne peut pas se préparer à l’avance, car le scénario est prêt le jour-même du tournage. Tout est dans sa tête. Et nous les techniciens, nous ne pouvons pas savoir  sur quoi nous allons travailler. C’est toujours improvisé  quand il arrive sur le tournage : « aujourd’hui on va essayer  en noir et blanc ! » Un autre jour, il vient : « aujourd’hui on va essayer de tourner en couleur ! » Il a cette façon de tourner très spontanée et libre, mais c’est difficile de savoir si  c’est déjà réfléchi ou si c’est sa lubie du jour. Ce qui est le plus important, c’est sa spontanéité, c’est le moteur principal du style de M. Hong, car il aime bien montrer tout ce qui est cru, que ce soient les gestes ou les paroles des personnages, tout est pris sur le vif. Il faut entrer en scène sans préparation,  c’est angoissant et stressant mais jouissif en même temps.  Il y a une sorte de plaisir qui se produit à cet instant-là, c’est ça qui est exaltant ! M. Hong tient à maintenir cette spontanéité, cette tension.

Convenez-vous ensemble du placement spécifique de la caméra pour les scènes de groupe, afin de mieux saisir les conversations intimes ou est-ce déterminé sur le moment ? 
C’est lié à la particularité de sa mise en scène. En général, dans la plupart de ses films on voit les profils de ses personnages en plan fixe. Néanmoins, dans Grass, on voit pour la première fois un personnage de face, grâce à la technique « over the shoulder ». En travaillant avec M. Hong, je n’utilise qu’une seule caméra, en l’occurrence pour Grass  la SONY F55, me permettant de changer et de choisir les différents types de plans. Avec d’autres réalisateurs, je suis amené à changer de caméra et de focale ou bien à faire des travellings, alors qu’avec M. Hong c’est toujours avec le même point de vue en plan fixe. Il joue avec le zoom dans les différents plans, c’est ce qui fait sa singularité.
 
Selon vous quelle est la particularité du cinéma de M. Hong mise à part la spontanéité évoquée ?  

Ce qui rend M. Hong unique en son genre, c’est qu’il ne traite pas de grandes théories ou de grands sujets comme on peut le voir chez d’autres cinéastes (rires). Il a une grande acuité et une capacité à saisir les moments insignifiants à côté desquels on passe. Il est très observateur, il voit tout, il entend tout,
il note tout et il a l’art de rendre les choses du quotidien touchantes.  Je pense que c’est surtout ça sa force.  [extraits]


Les herbes folles

par Paola raiman
Les Cahiers du Cinéma – n° 750 – décembre 2018

Si l’automne venait juste après l’hiver, Grass pourrait se passer le jour d’après du Jour d’après : on y retrouve à nouveau le dénuement du noir et blanc mais cette fois légèrement moins travaillé dans ses ombres et comme guetté par une forme de neutralité ; on y retrouve également Areum, la jeune femme dont le prénom signifie « beauté » en coréen, toujours interprétée par Kim Minhee assumant aussi bien le rôle de centre et de marge, d’observatrice et de conductrice des affects, semblant tantôt se retirer de la fiction, si infime que fût celle-ci, tantôt faire voler en éclat les silences empruntés et les réponses polies dans une de ces scènes de restaurant dont elle a le secret. Tapie derrière l’écran de son ordinateur pendant la majeure partie du film, elle écoute discrètement les conversations qui se tiennent autour d’elle dans ce petit café où se rencontrent l’espace d’un après-midi quelques personnes venues épancher leur solitude. C’est ainsi qu’elle écoute tout en nous livrant le fil de ses pensées en voix off et en tapant, songeuse, sur son clavier (à la manière dont elle composait une mélodie enfantine dans Seule sur la plage la nuit) un texte qui semble n’avoir aucune finalité précise.
Nulle velléité d’écrivain chez Areum-Kim Minhee qui tient bien moins de l’artiste en quête d’inspiration que de la sentinelle des émotions. Rarement le dispositif d’Hong Sangsoo n’aura été aussi simple, et pourtant Grass frappe par son intensité.
Dès la première rencontre, on est saisi par la gravité de la conversation : un homme et une femme se renvoient au visage la responsabilité de la mort d’une jeune femme qui s’est probablement suicidée d’un chagrin d’amour, comprenons-nous progressivement. Cette ombre du suicide, relativement nouvelle dans le cinéma d’Hong Sangsoo, sera dépliée tout au long du film dans chacune des conversations, interrogeant tout autant la possibilité de mourir par amour que la responsabilité des vivants face aux morts. Double conjecture qui traverse les échanges des personnages pour être ensuite passée au tamis de l’ouïe fine d’Areum triant les émotions comme on le ferait des grains de café, rappelant que « l’humain n’est qu’émotions », et que certaines sont « naïves, vitales, puissantes, en toc ». Son oreille semble particulièrement attentive aux jeux de manipulation qui se mettent en place – plus ou moins consciemment – comme ce comédien désespéré cherchant à apitoyer son amie avec sa tentative de suicide ratée. Idée géniale, chacune des conversations est aussi modulée par la bande-son du café, et l’ironie musicale de son patron invisible qui n’est jamais à cours d’inspiration en matière de musique classique. Ici, un impromptu de Schubert excessivement sentimental fait enfler le mélodrame que jouent deux jeunes gens qui cherchent à faire renaître leur amour malgré une culpabilité commune ; là, le Canon de Pachelbel vient flanquer une tension épique et comique aux retrouvailles de deux comédiens. C’est qu’il y a toujours de l’espace pour creuser des intensités variables au sein d’un même plan.
Grass est un véritable terreau d’expérimentations, où il importe bien plus à Hong Sangsoo de chercher que de trouver, en affichant une grande liberté à l’intérieur des cadres de son dispositif. Certaines scènes détonnent alors par leur étrangeté, à l’image de la séquence centrale marquée à la fois par une violence rare du discours – un homme accuse lâchement une femme d’avoir provoqué le suicide d’un professeur d’université dont elle était amoureuse – et par la liberté déroutante de sa mise en scène : cet homme est cadré de dos, la focale change soudainement laissant par intermittence le visage de la femme dans le flou, la caméra pivote pour dévoiler l’ombre solitaire de l’homme sur le mur du restaurant, une chanson pour enfants amortit la cruauté de l’échange.

Autre exemple de cette liberté, Hong Sangsoo introduit un plan sublime où l’on voit une femme monter un escalier plusieurs fois d’affilée, à mesure qu’elle gravit les marches son visage maussade se mue en gaieté. C’est l’un des signes de vitalité qui irriguent le film, comme le sont les jeunes pousses d’herbes empruntées à Walt Whitman qui lui donnent son titre. Dans le recueil Feuilles d’herbe, un enfant demande au poète ce qu’est l’herbe ; d’abord démuni face à la simplicité de la question, il tente quelques propositions : l’herbe c’est peut-être « la folle chevelure des tombes », hypothèse sombre que l’on pourrait à bon droit appliquer au film en observant les personnages se recueillir près des petites touffes végétales, le temps d’y fumer une cigarette. Pourtant insatisfait de cette réponse, le poète continue jusqu’à conclure que la pousse d’herbe la plus frêle est la preuve qu’il n’y a pas de mort qui ne s’incline devant la vie. N’est-ce pas plutôt cela que choisit de nous montrer Hong Sangsoo avec ces jeunes tiges qui ont l’audace de pousser au milieu de l’automne ?