Film soutenu

Los Bastardos

Amat Escalante

Distribution : Le Pacte

Date de sortie : 28/01/2009

Mexique / France / USA / 2008 / 1h30 / couleur / 35 mm / scope / Dolby 5.1

À Los Angeles, comme chaque matin, Fausto et Jesús, deux travailleurs mexicains clandestins, attendent au coin d’un terminal de bus dans l’espoir d’être embauchés. Les tâches sont ingrates et très mal payées, mais la nécessité de gagner un peu d’argent leur met une pression intense.
Aujourd’hui, ils ont trouvé un travail beaucoup mieux payé.
Aujourd’hui, leur outil de travail est un fusil à canon scié.

Sélection officielle – Un certain regard – Festival de Cannes 2008

réalisation Amat Escalante / scénario Amat Escalante, Martín Escalante / image Matt Uhry / son Raúl Locatelli / ingénieur du son Alejandro de Icaza / montage Ayhan Ergürsel, Amat Escalante / direction artistique Daniela Schneider, Zümrüt Çavusoglu / direction de production Gabriel Abraham

Amat Escalante

Né à Barcelone en 1979,  Amat Escalante vit au Mexique depuis son  plus jeune âge. Très tôt il se passionne  pour le cinéma et réalise un premier court-métrage à 14 ans. Quelques années plus tard et après avoir été déçu par différentes écoles de cinéma, il achète sa première caméra  16 mm et l’inaugure en réalisant son  second court-métrage Amarrados. Le film remporte plusieurs prix dans des festivals internationaux.
En 2003, il commence l’écriture de Sangre, son premier long-métrage, qu’il réalisera l’année suivante. Entre temps, il travaille comme assistant réalisateur sur le  long métrage Batalla en el Cielo de Carlos Reygadas. En 2008, son deuxième long métrage Los Bastardos est sélectionné au festival de Cannes.

Note d’intention

Ce que nous avons, un jour, fait pour Dieu, nous le faisons aujourd’hui pour l’argent. Voilà ce qui, à présent, confère le plus grand sentiment de pouvoir. Nietzsche

J’ai commencé à travailler sur le script de Los Bastardos bien avant que l’immigration mexicaine n’atteigne la situation critique actuelle. C’est un projet qui a vu le jour naturellement. Son origine n’est pas tant une certaine idée que je m’en fais, mais tout simplement la personne que je suis : le fils d’un immigré clandestin.
Je crois que ce film est devenu beaucoup plus important et opportun aujourd’hui que lorsque je l’ai écrit. De ce que j’ai pu observer en grandissant de part et d’autre de la frontière, la crise de l’immigration actuelle, en particulier dans les états frontaliers du Mexique et des Etats-Unis, s’est véritablement intensifiée.
Los Bastardos est le fruit de mes expériences personnelles : d’une certaine tristesse, d’une véritable préoccupation pour ce peuple qui est le mien et d’un intérêt pour cet étrange pays vers lequel tant de gens affluent dans le seul dessein illusoire d’engranger un maximum d’argent en un minimum de temps. J’ai choisi les deux personnages principaux, Jesús et Fausto (comédiens non-professionnels ), tous deux ouvriers dans le même quartier de Mexico car il était important, à mes yeux, que tous les spectateurs comprennent ce à quoi un homme peut être réduit dans une société gouvernée par l’argent.
Pour moi, ce film traite de la pire tragédie qui puisse arriver à un être humain ou un pays, celle de devenir délibérement un meurtrier. Je ne crois pas qu’il soit dans la nature humaine de commettre un meurtre de sang froid. Je suis persuadé que seule une dégénérescence de celle-ci peut conduire quelqu’un à cette extrémité.
Je tiens absolument à différencier les meurtres de sang froid de l’auto-défense et/ou de la vengeance. Ces deux dernières formes ne sont pas les motivations premières des deux personnages du film, bien que les origines de leur crime résident dans la passion et le désir de vengeance d’un homme trompé.
Confortablement installés dans notre salon, devant notre téléviseur, nous sommes habitués à voir des meurtres perpétrés dans de lointaines régions telles que l’Irak. Je voulais faire passer cette même mort violente et gratuite de l’autre côté de l’écran et toucher les gens jusque dans leur fauteuil.
J’ai le sentiment que les leaders gouvernementaux se doivent d’accorder à leurs citoyens les droits fondamentaux que tout être humain mérite ou ceux-ci devront sauter par dessus les murs et les barbelés afin de trouver ailleurs ce dont ils ont besoin. Au lieu de cela, la façon dont les médias accentuent le clivage entre les plus riches des pays riches et les plus pauvres des pays pauvres aura pour effet un exode toujours plus massif. La priorité actuellement imposée aux peuples réside dans les guerres, l’extermination de populations innocentes au nom du pouvoir et de toujours plus de profit. Ce qui bien sûr, va engendrer de plus en plus de gens comme Jesús et Fausto qui, à l’instar des soldats en Irak, cherchent simplement le moyen le plus aisé de mener une vie honorable.
Nous devons prendre soin de notre société et nous décoller de nos canapés pour nous confronter à la dure réalité de notre monde. Faute de quoi nous vivrons et mourrons à l’image de ce que nous avons été amené à considérer comme une normalité à travers de nos écrans de télévision : un monde où règne une violence dictée par la peur, la cupidité et la misère et où une minorité d’entre nous se partage les meilleures choses de la vie. Amat Escalante


Entretien avec Amat Escalante

D’où vous est venue l’idée d’écrire ce scénario ? Comment avez vous procédé ?
Je ne pense pas que ce film soit le fruit d’une réflexion ponctuelle. Mon dernier film Sangre résulte davantage d’une idée qui m’avait traversé l’esprit. Los Bastardos est une partie de moi-même, une partie issue des conséquences de mes expériences personnelles et des circonstances dans lesquelles elles ont totalement échappé à mon contrôle. J’ai vécu à peu près aussi longtemps aux Etats-Unis qu’au Mexique. Mon père traversa la frontière clandestinement avant ma naissance, et en garda des séquelles aux mains. Il m’a raconté cette histoire des dizaines de fois, et malgré tout cela me semblait toujours aussi invraisemblable que des gens prennent autant de risques. Dans quel but ? Un autre membre très proche de ma famille a passé la frontière en marchant à travers un tunnel d’égoûts pendant plus de douze heures. Voilà, j’en suis sûr, la genèse de Los Bastardos, enrichie de toutes les expériences dont j’ai eu connaissance.
J’ai écrit ce scénario avec mon frère Martín, à distance, alors que j’écumais les festivals de films internationaux et durant mes cinq mois passés à la Cinéfondation. Martín est meilleur que moi pour l’écriture, je me contentais donc de lui donner mes idées par mail. Il les organisait ensuite, puis nous retravaillions le texte ensemble et le finalisions. Nous avons consacré beaucoup de temps à l’écriture avant de commencer à tourner car c’est un sujet très difficile.

Comment avez-vous décidé des lieux de tournage ? Aviez-vous une raison particulière de situer l’intrigue principale à Los Angeles ?
A partir du moment où je commence à réfléchir aux scènes, j’aime que mes histoires se placent dans des endroits que je connais bien car cela me permet de maîtriser parfaitement mon espace. Pour ce film, j’ai imaginé les lieux mais toujours à partir d’une idée préexistante de constructions standardisées comme on en trouve tellement dans les quartiers résidentiels des Etats-Unis. Une fois le scénario achevé, il s’agissait de trouver le lieu le plus adapté. Ce qui ne fut pas chose aisée car, à l’image d’une chaîne de restaurants fast food, les lieux se ressemblaient tous terriblement. Je voulais montrer des lieux tout à fait ordinaires, des lieux devant lesquels les gens passent tous les jours sans les remarquer car ce sont des lieux fonctionnels.

Vous avez travaillé avec un casting varié composé d’acteurs internationaux. Certains d’entre eux sont des professionnels, mais la plupart sont amateurs. Comment cela a-t-il influencé la production ? Avez-vous eu des difficultés à diriger vos acteurs ?
Trouver les deux rôles nous a demandé beaucoup de temps et d’éner­gie. Mon frère Martín s’est, en effet, attelé à cette tâche pendant près d’un an et demi. Je suis aujourd’hui très heureux d’avoir réussi à dénicher ces deux garçons dans la rue et de les avoir aidés à incarner mes personnages tels que je me les imaginais.
Pour ce qui est de Jesús Moisés Rodrigues, qui interprète Jesús, nous l’avons rencontré sur un chantier dans ma ville natale de Guanajuato, au Mexique. Il était excité par l’idée, et moi j’étais excité d’avoir enfin trouvé un tel visage et une telle personnalité. Mais ce fut extrêmement difficile de le faire entrer légalement aux Etats-Unis. Nous avons fait une première demande qui fut rejetée, ce qui provoqua un report du tournage, mais finalement nous avons réussi.
Ruben Sosa, qui joue Fausto, est l’exem­ple même des miracles du cinéma. Deux jours avant le début du tournage, la personne initialement prévue pour le rôle a pris peur et s’est retirée du projet. Nous avons donc dû faire face à l’énorme pression de trouver quelqu’un d’autre en moins de deux jours ou de devoir repousser à nouveau le tournage, ce qui aurait été désastreux. Toute l’équipe de production s’est donc mise à arpenter les rues à la recherche de « l’oiseau rare ». Ma directrice artistique, Daniela Schneider, a trouvé Ruben déambulant au coin d’une rue, et nous avons pu commencer le tournage le jour suivant.
J’ai eu le plus grand mal à diriger Ruben du fait de son jeune âge et de son histoire personnelle. Pour les deux acteurs, les plus grands défis furent la concentration et la mémorisation. J’ai dû faire preuve d’une grande imagination pour arriver à mes fins. Par conséquent, la plupart des dialogues diffèrent du scénario initial mais collent parfaitement au langage employé dans la vie réelle.
Je savais que la rencontre entre ces deux jeunes hommes mexicains et cette femme américaine serait un élément important et causerait à elle seule une réaction, une certaine gêne sans qu’il soit nécessaire que j’en fasse davantage. J’ai eu la chance de trouver Nina Zavarin après avoir auditionner près de trois cents actrices d’Hollywood. Le projet lui tenait particulièrement à cœur, elle était prête à s’y investir totalement et à faire des choses que beaucoup d’autres auraient hésité à faire. Durant le tournage, ces trois personnalités ont instauré une véritable relation de connivence entre eux et envers moi.

Los Bastardos est principalement tourné de jour, mais nous pouvons dire que « c’est un film sombre tourné à la lumière du soleil ». Quelle était la raison majeure de cette opposition entre thème et éclairage ?
Je voulais avoir l’intensité et la rudesse de la lumière du jour où rien ne peut se cacher. Les Etats-Unis sont, pour moi, un pays propre et bien entretenu où beaucoup est fait pour dissimuler la saleté sous le béton. En tant que Mexicain, c’est particulièrement surprenant de traverser la frontière vers le Mexique et de voir et sentir une telle différence entre les deux pays. C’était donc très important pour moi de montrer cela. De plus, j’avais à l’esprit un film qui ne puisse se réfugier dans la pénombre ou derrière de jolis décors.

Les écrans verts et rouges au début et à la fin du film sont relativement importants pour la compréhension de la tonalité du film. Quel était votre but en les insérant ? Comment influencent-ils le film dans son ensemble ?
A la base, je cherchais à instaurer un sentiment de menace omniprésente. Quelque chose qui nous dépasse et qui est indéfinissable. J’ai donc imaginé ces couleurs et cette musique comme une matérialisation de ce sentiment. C’est en fait quelque chose qui m’est venu instinctivement alors que je montais le film, et j’ai donc du mal à trouver les mots justes pour expliquer cela. Ça ne m’a pas dérangé, jusqu’à maintenant, de filmer des choses sans pouvoir les expliquer. Autrement quel intérêt ?

Combien de temps a nécessité la production ? Combien de temps a duré  la préparation ? 
La préparation a duré deux mois, après les deux années de développement.  Puis le tournage s’est étalé sur cinq intenses semaines.

Quel est le moment de la production qui vous a le plus touché?
A un niveau personnel, je pense que la chose la plus intéressante et la plus incroyable  que j’ai renouvelé avec mon second film est d’avoir travaillé avec deux acteurs non  professionnels qui, au début, ne pouvaient croire qu’ils allaient vraiment jouer dans  un film. Les emmener ensuite à Cannes sera une expérience qui va changer leurs  vies ainsi que la mienne.

Avez-vous rencontré une quelconque résistance ou hésitation de la part des
acteurs ou de l’équipe concernant la violence du film ?

Non, je pense que nous sommes tous habitués à la violence de nos jours.

Les deux longues prises au début et à la fin du film l’encadrent avec délicatesse  et efficacité. Aviez-vous anticipé cela avant le montage ?
Je voulais démarrer le film de façon pure, concrète, solide et impénétrable et  le finir dans la terre et la saleté à partir de quoi quelque chose peut grandir. Le reste  n’était pas délibérement prévu mais est davantage le fruit de l’instinct. La dernière  prise du film est en fait un accident. Ne réussissant pas à finir tel que nous l’avions  prévu dans le scénario, nous avons essayé plusieurs autres choses. Finalement,  ce qui est dans le film est la dernière prise de la journée et l’acteur ne s’était même  pas rendu compte que nous étions encore en train de tourner. Il s’est littéralement,  bien qu’inconsciemment, livré à moi et j’étais stupéfait. Après avoir dit « Coupez »,  je savais que je tenais là, le dernier plan du film.

Vous avez travaillé avec un monteur turque, Ayhan Ergursel qui a monté tous  les films de Nuri Bilge Ceylan. Avez-vous éprouvé des difficultés avec cette  diversité culturelle dans le travail ?
C’était très agréable de travailler avec Ayhan, il possède un véritable instinct  cinématographique. Il sait faire ressortir au montage les émotions des personnages.  Bien qu’il ne parle ni anglais ni espagnol nous étions capable de communiquer  ensemble à travers le langage du cinéma.

Entretien dirigé par Dileck Aydin