Film soutenu

Mourir comme un homme

Joao Pedro Rodrigues

Distribution : Epicentre Films

Date de sortie : 28/04/2010

Portugal / France / 2009 / 2h13 / 35mm / 1:1.33 / Dolby SR D

Tonia, une transsexuelle vétéran des spectacles de travesti à Lisbonne, voit s’effondrer le monde qui l’entoure : son statut de star est menacé par la concurrence des jeunes artistes.
Pressée par son jeune copain Rosário d’assumer l’identité de femme et de se soumettre à l’opération qui la fera changer de sexe, Tonia lutte contre ses convictions religieuses les plus intimes. Pour s’éloigner de tous ses problèmes, elle part à la campagne avec Rosário. . Après s’être égarés, ils se retrouvent dans une forêt enchantée, un monde magique où ils rencontrent l’énigmatique Maria Bakker et sa copine Paula. Et cette rencontre va tout faire basculer…

Un Certain Regard – Festival de Cannes 2009

Réalisateur : João Pedro Rodrigues
Scénario : João Pedro Rodrigues, Rui Catalão ; collaboration João Rui Guerra da Mata
Image : Rui Poças aip
Son : Nuno Carvalho
Montage : Rui Mourão, João Pedro Rodrigues
Mixage : Jean-Pierre Laforce
Direction Artistique : João Rui Guerra da Mata
Décoration : Fernando Areal
Costumes : Patrícia Dória
Maquillage : Sandra Pinto
Directrice de Production : Beatriz Jarmela
Producteurs Associés : Alexandra Henochsberg, Arthur Hallereau, Gregory Gajos
Co-Productrice : Judith Nora (Ad Vitam)
Productrice : Maria João Sigalho (Rosa Filmes)

Joao Pedro Rodrigues

João Pedro Rodrigues commence par étudier la biologie dans le but de devenir ornithologue avant de bifurquer vers des études de cinéma à l’école de Cinéma de Lisbonne, dont il sort diplômé. Son cinéma se consacre à l’exploration du désir humain, dans tous ces aspects et sous toutes ses formes, reflétant la diversité de l’histoire du cinéma, des fictions classiques au documentaire et à l’expérimental.
Il a, à ce jour, réalisé plusierus  longs-métrages : O FANTASMA (2000), ODETE (2005), MOURIR COMME UN HOMME (2009), LA DERNIERE FOIS QUE J’AI VU MACAO (2012) – co-réalisé avec João Rui Guerra da Mata – etL’ORNITHOLOGUE (2016). Il a également réalisé un nombre conséquent de courts-métrages, souvent avec Guerra da Mata, qu’ils aiment qualifier de « films asiatiques ».
Les films de João Pedro Rodrigues ont été montrés et primés dans les plus grands festivals internationaux, dont Cannes, Venise, Locarno et Berlin.
De 2014 à 2015, il est résident du Radcliffe Institute à l’Université de Harvard. De 2015 à 2016, il enseigne pour la deuxième fois au Fresnoy, Studio national des arts contemporains en tant qu’artiste invité.
Dernièrement, il a également développé des installations et œuvres plastiques pour les musées et les galeries : “Santo António” / “Saint Antoine”, créé avec Guerra da Mata pour le Mimesis Art Museum en Corée du Sud (26/11/2013-9/02/2014) était leur première exposition. Une installation vidéo à quatre écrans, faisant partie de l’exposition coréenne fut également montrée en octobre 2014 à la Johnson-KuluKundis Family Gallery du Radcliffe Institute, Harvard University, USA.
La toute nouvelle exposition de Rodrigues et Guerra da Mata « Do Rio das Pérolas ao Ave” / “Du fleuve des Perles au fleuve Ave” (02/07/2016-25/09/2016) est actuellement montrée à Solar, Cinematic Art Gallery, à Vila do Conde au Portugal.
A partir du 25 Novembre 2016 et jusqu’au 2 janvier 2017, ses films feront l’objet d’une rétrospective complète, en présence également de João Rui Guerra da Mata, au Centre Pompidou à Paris.

Note d’intention du réalisateur : 

MOURIR COMME UN HOMME est l’histoire de Tonia, une icône fulgurante de la nuit lisboète qui, à la fin des années 80, à l’apogée de sa carrière, a abandonné sa double identité et s’est appropriée son « personnage artistique ».

Elle a subi toute une série d’interventions de chirurgie plastique qui l’ont transformée en femme aux yeux de la société. Tonia a progressivement effacé les vestiges de son identité masculine qui représentaient tout ce qu’elle ne pouvait pas contrôler: la discrimination due à son homosexualité, la masculinité de son corps, le nom de sa famille qui l’a rejetée, la paternité d’un fils né d’un rapport hétérosexuel pendant l’adolescence. Mais cette métamorphose est aussi sa tragédie. Tonia transforme son apparence sans jamais changer de sexe. Contre sa volonté et contre la vérité la plus urgente et la plus immédiate s’élève sa conscience la plus profonde; ses convictions religieuses l’empêchent de parachever sa transformation.

C’est un film de guerre. Un monde en guerre, une guerre contre soi-même. Mais il s’agit aussi d’une histoire d’amour, celle de Tonia et de son jeune copain Rosário, un « Roméo et Juliette » inédit.

MOURIR COMME UN HOMME est inspiré des témoignages de travestis, transsexuels, médecins et gens du spectacle que j’ai interviewés pendant les mois préparatoires à l’écriture de cette histoire. Ils m’ont servi de points d’ancrage au réel pour inventer mes personnages et leur monde implacable.

Je n’ai, cependant, jamais eu l’intention d’être fidèle à ces témoignages. L’écriture s’est plutôt conformée aux exigences de la construction romanesque, dialoguant avec les codes de la comédie musicale, du mélodrame et de la tragédie.

La musique
J’ai opté pour exclure de l’histoire la présence des personnages sur scène et les playbacks qui caractérisent le show de travesti. Ce qui m’a intéressé, en abordant le genre musical, ce sont les coulisses du spectacle, comme miroir et reflet de l’intimité des personnages.

Dans MOURIR COMME UN HOMME les moments musicaux sont des chansons et des mélodies a capella, plus proches des moments passés entre la distraction et l’intimité, quand on chantonne en exécutant une tâche quotidienne, que de la spectacularisation et la théâtralisation de l’acte de chanter.

La tradition du film musical veut que l’on interrompe l’action et son rapport avec le temps dramatique pendant les chansons – et c’est cela ce que j’ai voulu respecter, ainsi que les sujets des chansons dans leur façon d’exprimer des états d’âme et de refléter l’intériorité à la fois des personnages et du fil narratif qui se tisse.

J’ai opté aussi pour remplacer l’imaginaire des chansons en espagnol ou en italien, qui caractérisent le show de travesti du sud de l’Europe, par des chansons populaires en portugais dont les interprètes originaux (Marco Paulo, José Cid, António Variações et Paulo Bragança) ont été, et sont toujours, aussi ridiculisés et minorisés tout comme les individus qui ont inspiré cette histoire. Je ne l’ai pas fait par souci de naturalisme ou pour coller à une iconographie camp, mais parce que je reconnais en certains de ces mots et de ces mélodies une poésie qui, malgré sa simplicité, possède un peu de cette fantaisie amoureuse si prégnante chez les personnages de Tonia et de Rosário.

Le mélodrame
À l’inverse du drame social ou psychologique, les conventions du mélodrame se caractérisent par un excès qui contamine la vraisemblance de l’histoire et la crédibilité des personnages. Les histoires de beaucoup de personnes contactées pendant la recherche avant l’écriture du scénario contredisent, cependant, cet « excès de réalité » dont on accuse généralement le mélodrame et qui, je pense, est la principale raison de sa décadence dans l’histoire du cinéma.

L' »excès de réalité » est souvent le résultat d’une médiation entre ce que l’on considère comme normal et tout ce qui dépasse les frontières de cette même « normalité ». Les personnages de MOURIR COMME UN HOMME (ainsi que leurs histoires et les rapports entre eux), se sont exclus ou ont été exclus de ce modèle. Ils ont un souhait extrême de leur propre vérité, d’une entente entre ce qu’ils éprouvent et ce qu’ils laissent voir, ce qui provoque un point d’ébullition. C’est à ce point là que les conflits surgissent et qu’apparaît la rupture avec les conventions de ce qui est socialement admissible.

La tragédie
Au contraire du drame, où la tension se situe dans l’incapacité de l’individu à s’adapter à sa situation, dans la tragédie c’est le caractère inexorable de ses actions qui subsiste. Le drame surgit parce que le personnage ne sait pas gérer ses émotions ni ses actions par rapport au contexte, mais la tragédie vient souligner un abîme insurmontable entre la vérité de l’individu et la conduite que la société lui impose. La tragédie survient car le personnage est obligé de rester fidèle à son rôle, quitte à en mourir, et dénonce de ce fait l’urgence d’un changement de la société.

Sans distanciation on ne peut pas distinguer le drame de la tragédie. C’est la principale raison, pour laquelle il ne serait pas possible de transformer immédiatement des personnes réelles en personnages tragiques, et j’ai dû créer ceux de Tonia et Rosário.

De plus, en écrivant le scénario, j’ai senti qu’il fallait fuir l’inexorabilité de la tragédie et trouver un autre point de vue qui me permette de prendre mes distances des témoignages réels. C’est en découvrant le livre « Casa Susanna » (Edited by Michel Hurst and Robert Swope, Powerhouse Books, New York, NY, 2005), qui rassemble une collection de photos anonymes, que j’ai trouvé la clé pour matérialiser la fiction que je voulais écrire. Ces photos, achetées par hasard dans un marché aux puces américain, constituent une espèce d’ »album de famille » d’une certaine Susanna, un cross-dresser (sa carte de visite a été retrouvée avec les photos), qui, pendant les années 60, organisait des rencontres avec des amis hommes, dans une maison de campagne. Ils s’habillaient en femme et, probablement, pendant les week-ends, reproduisaient la vie des ménagères typiques de la classe moyenne américaine, loin des regards discriminatoires de la société, tout en bâtissant ainsi une espèce d’Éden de tolérance et de liberté d’expression.

Ces photos, qui font tant penser à la mélancolie des images de William Eggleston et aux femmes solitaires d’Edward Hopper, m’ont amené au deuxième grand mouvement du film, le voyage à la campagne de Tonia et Rosário. Dans cette « partie de campagne », ils se perdent dans la forêt pour rencontrer l’énigmatique Maria Bakker qui fonctionne ici comme un double et un contrepoint au personnage de Tonia. Tonia se voit alors confrontée à sa destinée, et va comprendre que le voyage qu’elle a commencé est bien long et sans retour.

Son corps, corrompu par la maladie, en est l’exemple le plus vif et le plus tragique. Par conséquent, la forêt de Maria Bakker n’est pas tant la forêt enchantée des contes de fées, qu’une forêt sombre et impénétrable.

Les acteurs
Quelques personnes que j’aie connues pendant les recherches préparatoires à l’écriture du scénario ont servi de modèles et sont devenues mes personnages. Ce fut un travail d’approche lent et parfois difficile, mais qui m’a permis d’écrire cette histoire en pensant à des corps réels, à des personnes de chair et d’os. Je sais comment elles marchent, comment elles regardent, comment elles parlent. Ce ne sont pas des images abstraites couchées sur une feuille de papier, elles respirent l’air qui nous entoure. Je suis convaincu qu’il m’aurait été impossible de faire ce film sans l’émotion et la générosité de ces personnes-là.