Orlando Ferito de Vincent Dieutre
Film soutenu

Orlando Ferito

Vincent Dieutre

Distribution : La Huit

Date de sortie : 02/12/2015

France -Italie - 2015 - 1h44

Dans la remise d’un petit théâtre de Palerme, les Pupi (les fameuses marionnettes siciliennes) se lamentent sur leur sort alors que le réalisateur débarque pour la première fois en Sicile. Même si Pasolini annonçait en 1975 la Disparition des  Lucioles,  le triomphe du Château des Mensonges  berlusconien et la fin politique du monde,  de nouvelles rencontres et la lecture d’un petit essai de Georges Didi-Huberman vont venir queSon récit intime se colore peu à peu d’espoir et de révolte, sous le signe d’Orlando, le prince blessé des Pupi, et des lucioles. Dans son regard documentaire et lucide sur la Sicile d’aujourd’hui, les clichés se rebellent : derrière la théâtralité des Pupi, la déréliction politique, l’homosexualité honteuse et l’omniprésent culte de la mort, finissent par se dessiner des poches fragiles de résistance. « Et d’abord, les lucioles ont-elles  disparu ? Ont-elles TOUTES disparu ? »

FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM – ROME
SICILIA QUEER FILMFESTIVAL – PALERME

Une production LA HUIT STÉPHANE JOURDAIN
AVEC LA PARTICIPATION DE CINÉ+ • Avec : Fleur Albert, Paola La Rosa, Sandeh Veet, Rosaria Esposito, Gigi Malaroda, Massimo Milani, Emilio Perna, Giuseppe Provinzano, Paolo Francesco Gannalia, Martina Cardella, Collectif Askavusa, Salvatore Borsellino • Voix : Eva Truffaut, Vincent Dieutre
« MANIANTI E COMBATTANTI » • Animation des Pupi : Giacomo Cuticchio, Fulvio Verna • Assistante de plateau Pupi : Tania Giordano • Scénario et dialogues : Camille de Toledo, Giulio Minghini, Vincent Dieutre • D’après des textes de Pier Paolo Pasolini, Giorgio Agamben et Georges Didi-Huberman • Image : Arnold Pasquier • Son : Benjamin Bober • Montage : Dominique Auvray • Montage son et mixage : Jean-Marc Schick (L’ATELIER SONORE) • Animation : Guillaume Dimanche • Etalonnage : Romain Pierrat • Producteur Délégué : Stéphane Jourdain • Directeur de production : Alain Bastide, Frédéric Duuez • Assistante de production : Elsa Barthélémy • Un film écrit et réalisé par : Vincent Dieutre • Producteur Stéphane Jourdain • Producteurs associés Gilles Le Mao, Laurence Milon, Caroline Helburg

Vincent Dieutre

Depuis son premier long-métrage Rome Désolée (1996), Vincent Dieutre explore les limites du documentaire, de l’autobiographie filmée, de l’installation vidéo (Sakis : Un Tombeau, 2011) et de la création radiophonique.
Cinéaste avant tout, la reconnaissance critique et publique de sa démarche lui permet de continuer à inventer son cinéma à la première personne, nourri d’art, de musique et d’intime.
Pour le cinéma, ses contre-propositions au documentaire historique (Fragments sur la Grâce, 2006) ou au film pornographique (Despues de la Revolucion, 2007) affirment la diversité de son travail. En 2002, il commence une série de petites formes qu’il nomme ses Exercices d’Admiration et après Kawase, Eustache et Cocteau, il vient d’achever un Exercice d’Admiration à Roberto Rosselini : Viaggio nella Dopo-storia, voyage en post-histoire (Berlinale 2015). Il tourne aussi pour la télévision, notamment Bonne Nouvelle (2002) et Jaurès (Teddy Awards, Berlinale 2012) et travaille régulièrement pour la radio. Tout son travail explore l’inconscient européen qu’il soit culturel, sexuel ou politique sous l’angle de la subjectivité la plus radicale. Ses deux films les plus remarqués, Leçons de Ténèbres (2000) et Mon Voyage d’Hiver (2003) ouvraient le cycle des Films d’Europe qu’il clôt aujourd’hui en Sicile avec Orlando Ferito.

Filmographie

2015 Orlando Ferito
2015 Viaggio nella Dopo-storia
2012 Jaurès
2008 Despuès de la revolucion
2006 Fragments sur la grâce
2003 Mon voyage d’hiver
2002 Bologna Centrale
2001 Bonne Nouvelle (Prix du jury à Locarno vidéo)
2000 Leçons de ténèbres (Prix du Jury au FID Marseille)
2000 Entering Indifference
1995 Rome désolée


LES COLLABORATEURS ARTISTIQUES

GEORGES DIDI-HUBERMAN
Philosophe et historien de l’art, il enseigne à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. II a publié une trentaine d’ouvrages sur l’histoire et la théorie des images, dans un large champ d’étude qui va de la Renaissance jusqu’à l’art contemporain. En 2009, il publie Survivance des Lucioles ; à partir de L’article des Lucioles de Pier Paolo Pasolini en 1975.

PIERANDREA AMATO
Professeur de philosophie, Faculté de philosophie et lettres, Université de Messine, Italie. Pour Pierandrea Amato, la révolte constitue le présupposé ultra-politique de toute politique véritable, parce qu’elle est inscrite dans l’existence de tout un chacun : « la révolte, affirme-t-il en effet, est un événement qui manifeste une inclination fondamentale de l’existence humaine. » La révolte, paru en 2011, Éditions lignes

MIMMO CUTICCHIO
Principal héritier de la tradition des conteurs siciliens et de l’opéra dei Pupi. Mimmo Cuticchio est le fils du célèbre marionnettiste, Giacommo Cuticchio. Il ouvre à Palerme en 1973 le théâtre des Pupi Santa Rosalia. En 1977, il fonde l’association « Figli d’Arte Cuticchio » afin de sauvegarder l’art des Pupi. Il apparaît entre autre dans le film Le Parrain 2, de Francis Ford Coppola.

VINCENT DIEUTRE À PROPOS D’ORLANDO FERITO

Je rêvais, après Leçons de Ténèbres et Mon Voyage d’Hiver d’un troisième Film d’Europe, d’une fable sur notre sentiment d’impuissance politique en forme de fantaisie politique européenne… Depuis des lustres, l’affadissement Berlusconien avait tué en moi cette complicité avec un territoire, une histoire, un Peuple aussi. En Sicile, j’ai senti que se jouait quelque chose du destin de l’Europe que je pouvais percevoir. Rien de nostalgique ou de pittoresque dans tout cela ; c’est le rapport entre les corps et l’espace urbain, une certaine façon d’habiter le monde, de vivre en équilibre entre l’invention permanente de soi et l’aliénation hypermoderne qui, dés l’aéroport, se révélaient plastiquement, dramatiquement, en dur.

Difficile de décrire par les mots, l’émotion qui m’a saisi lors de mes premiers séjours en Sicile. Au-delà de sa seule beauté « plastique », c’est surtout l’impression de renouer avec une Italie perdue qui m’a étreint lorsque j’ai vu Palerme se dessiner des fenêtres de l’avion.

Et dans mes bagages, il y avait ce petit livre de Georges Didi-Huberman, Survivance des Lucioles, dont la lecture accompagna tout mon voyage. En Sicile, les mots de Pasolini et les « petites corrections » que Didi-Huberman apporte à la vision radicalement pessimiste du cinéaste-poète, m’ont semblé prendre corps partout. Pasolini annonçait une apocalypse politique*, l’avènement d’un nouveau fascisme que personne ne verrait venir. Il utilisait la disparition effective des petits insectes lumineux, pour peindre l’arrivée de temps obscurs. Dans son petit livre, Didi-Huberman se refuse à admettre cette disparition, et nous invite à « trouver la bonne place » pour voir les petites lucioles danser à nouveau. Car ce n’est pas l’obscurité mais une surexposition aux lumières aveuglantes du Spectacle qui nous empêcherait de voir les délicieuses lucioles. J’ai décidé de prendre le « minuscule exemple des Lucioles » au pied de la lettre, avec candeur et brutalité, celles-la même que la Sicile m’offrait à chaque pas.

Didi-Huberman me donnait les mots pour redire le « principe espérance » sans lequel nul ne peut vivre complétement… D’où venait donc ce sentiment de retrouvailles avec la beauté du monde, celui de l’enfance, celui des origines que l’on croyait enfoui à jamais sous le devenir-Disneyland des rives méditerranéennes ? De ma seule lecture de Survivance des Lucioles ? Sinon… Qu’est-ce qui résiste en Sicile à la surexposition, à l’affadissement général qui plane partout ailleurs, sur la Toscane, Rome ou Venise ? S’agit-il là d’une pure construction subjective, d’un délire de touriste lecteur ? Peu importe car ce qui compte c’est le désir immédiat que j’ai ressenti de transmettre en cinéma cet enchantement retrouvé, le pessimisme organisé de Didi-Huberman qui nous propose de refaire place à la beauté et à la joie…

Et puis je voulais filmer ces gens, leur donner la parole. Ceux que j’ai pu rencontrer, comme le philosophe Pierandrea Amato (et sa « rivolta » contre l’antipolitique triomphante), comme les militants de Lampedusa et des théâtres occupés, ceux que j’ai aimés aussi (comme Gigi Malaroda qui s’exilait d’Italie pour fuir la catastrophe). Si j’ai tourné Orlando Ferito, c’est pour parler d’eux, de leur lutte quotidienne pour exister. Ils ont été mes lucioles, mes repères, dans une Italie où se mêlent encore mémoire des formes et amnésie des images ; dans une Sicile où s’affrontent conservatismes immémoriaux et révolution permanente de l’aujourd’hui, intensité de la vie sensible et précarité télévisuelle.

* J’ai vu avec mes  sens  le comportement imposé  par le pouvoir de la consommation remodeler  et déformer  la conscience du peuple italien jusqu’à une irréversible dégradation, ce qui n’était pas arrivé pendant le fascisme fasciste. Le véritable fascisme est celui qui s’en prend aux âmes, aux gestes, aux corps du peuple. Pier Paolo Pasolini dans l’article des Lucioles


Nous vivons la catastrophe, c’est la fin du monde pour moi, c’est la fin politique du monde. Pour moi dire catastrophe est dire qu’il n’y a plus de possibilités de transformation.
La catastrophe c’est ici…
Elle est là. C’est une urgence de dire non. Et je crois que pour dire non… la révolte n’a pas lieu
à Berlin, elle a lieu à Naples, à Palerme, en Sicile où la catastrophe  est plus dure, le pouvoir néolibéral,  c’est  grotesque  mais  peut  prendre  pas seulement l’économie  mais  l’imaginaire, c’est vraiment là que je crois qu’il y a la chance de la rupture, de la…excusez-moi un mot pasolinien, de la « rabbia ». Pierandrea Amato dans l’acte 2 d’
ORLANDO FERITO

La grande beauté des marionnettes siciliennes, véritables oeuvres d’art qu’on peut admirer dans les musées de Palerme et d’Aci Reale, a aussi été une sorte de révélation cinématographique. Mais, ayant eu l’occasion de voir plusieurs représentations en Sicile et à Paris, j’avais aussi été frappé par le magnifique jeu déclamatoire des marionnettistes, les Pupari, par leur inventivité de bruiteurs et leur art consommé du sous-entendu mordant. Et le cœur de ce théâtre, L’Opera dei Pupi, c’est la figure d’Orlando, une figure héroïque profondément européenne dont le film tente d’évoquer le voyage dans le temps et l’espace. Orlando et les Pupi sont-ils une survivance ? En tous cas, j’en fais les témoins sidérés et broyés de la catastrophe, puis, par le mouvement du film et la pensée de Didi-Huberman, ils deviennent de petits êtres lumineux, gueux ou chevaliers, seuls capables de nous aider à savoir les lucioles, à retrouver la bonne place…

Désormais déclarée par l’UNESCO Patrimoine Immatériel de l’Humanité, la pratique ancestrale des Pupi risquait de basculer à son tour dans l’immobilité muséale ; certains en sont plus que conscients comme Mimmo Cuttichio (Compagnie Figli d’Arte). Il n’a pas eu peur de « dénaturer » Roland et Charlemagne pour redonner à son art, le temps d’un travail collectif intense et passionnant, sa virulence première et sa force critique quitte à ce qu’Orlando, Rinaldo, Les Maures et l’Empereur Charlemagne même y perdent quelques plumes baroques pour dire au plus près le malaise d’aujourd’hui. Et Mimmo Cuttichio, Puparo issu d’une dynastie de marionnettistes, a bien voulu jouer le jeu, jusqu’à devenir un personnage du film, un géant aux cheveux déjà gris, au regard plein de colère et de bonté. Reconnu internationalement, il a bien voulu faire vivre son théâtre devant nos caméras, loin des musées et de l’Unesco, et en réaffirmer le rôle social, politique même.

Il fallait donc que Georges Didi-Huberman entre aussi dans l’entrelac des images et des sons et je ne suis pas peu fier de l’en avoir convaincu. Sa générosité et sa parole prennent corps dans le film à l’occasion d’une adresse aux Siciliens qu’il a tenu à faire en italien. Et si les mots du livre qu’il m’a confié animent les lieux, rues, paysages et images détournées, par la voix de ma complice Eva Truffaut, c’est le visage et la voix calme de Georges qui peu à peu orientent le film vers une métamorphose finale. Il devient lui aussi personnage, corps du film, nous rappelant au passage les droits et devoirs de l’intellectuel européen, l’absolue nécessité d’un nouveau principe espérance, là justement où tout semble perdu.

J’ai compris que parler d’une image, du visuel, du visible, des apparences, est déjà une position politique.
Il faut considérer les images comme  un champ de bataille.
Et dans la bataille, il y a Berlusconi  qui utilise un certain type de cadre, de chromatisme, de lumière, un certain type de femmes et de garçons…
Nous intellectuels, travailleurs de l’écriture, de la pensée,  de l’image ; artistes,  nous avons un champ d’action à la fois fragile, presque inexistant, si nous ne sommes pas lus ni reconnus, et en même temps  très puissant  car notre champ de bataille, ce sont les mots,  les images et aussi les émotions.
Nous essayons  d’en contester  certains usages  par le pouvoir… 
Georges Didi-Huberman dans l’épilogue d’ORLANDO FERITO

Pour réinventer le « dramma per Pupi » sous le signe des Lucioles, j’ai proposé à deux écrivains contemporains (Camille de Toledo et Giulio Minghini) de retravailler des poèmes de Pasolini, d’élaborer des scènes originales tout en respectant le discours épique des Pupi. Car le véritable drame n’est pas celui que je monte avec les Pupari, c’est celui qui se fomente entre les fragments du journal, les pay- sages traversés et les images indifférenciées qui hantent le réseau. Ce feuilletage du réel avec la féerie
était pour moi la condition d’apparition des gracieuses lucioles…

Le film met en présences des lieux, des paroles, des corps, qui s’enroulent autour d’un axe, la quête des lucioles survivantes. Si le projet établit le parallèle entre les pressions sociales permanentes qui s’exercent  sur le citoyen (sur les homosexuels siciliens notamment, les poussant à s’inventer des doubles vies, parfois douloureuses, souvent romanesques) et l’image de la marionnette agie par un puparo tapi dans le noir, c’est que cette nature duelle se retrouve partout en Sicile. Comme l’affirme Georges, la beauté et la douleur sont inextricablement liées : beauté de la nature et chaos urbain, désir d’autonomie et soumission à des pouvoirs occultes, tradition et modernité. Cette même dualité fonde notre monde « postmoderne » mais en Sicile, elle se donne à voir partout et le film en dresse le paysage fragmentaire.

Car, en pessimistes organisés et amoureux, nous nous sommes refusés à peindre une « Sicile éter- nelle», indemne des blessures de l’Europe mondialisée et de 15 ans de Berlusconisme. Non ; de l’irruption d’Internet dans le nouvel ordre amoureux à celle de l’immigration sauvage sur les côtes touristiques du sud, Orlando Ferito tente de saisir une Sicile plongée dans la complexité la plus contemporaine et qui puisse, le temps d’un film, devenir la métaphore de l’Europe d’aujourd’hui, notre monde