Film soutenu

Sharqiya

Ami Livne

Distribution : ASC Distribution

Date de sortie : 07/11/2012

Israël / France - 1h22 - Couleurs - 2012

Kamel, un jeune Bédouin, travaille comme agent de sécurité à la gare routière de Be’er Sheva. Il habite dans un petit village illégal, perdu au beau milieu du désert. Son frère Khaled, chef du village, travaille dans la construction et est marié à Nadia, 21 ans. La relation entre les deux frères est compliquée, Khaled n’approuvant pas le métier de Kamel. Un jour, en rentrant chez lui, Kamel apprend que les autorités ont ordonné la démolition du village. Dès le lendemain, Khaled quitte son emploi et décide de rester au village, pour repousser les autorités qui tenteraient de les déloger. Kamel, quant à lui, continue d’aller travailler….

Adnan Abu Wadi Kamel
Maysa Abed Alhadi Nadia
Adnan Abu Muhareb Khaled

Réalisateur Ami Livne
Scénariste Guy Ofran
Producteurs Eyal Shiray (Golden Cinema, Israël), Elie Meirovitz (EZ Films, France), Itai Tamir (Laila Films, Israël)
Coproducteurs Fabian Gasmia, Henning Kamm (Detailfilm, Allemagne)
Directeur de la photographie Boaz Yehonathan Ya’acov
Montage Zohar Sela
Chef décorateur Salim Shehade
Producteur délégué Tony Copti
Assistant réalisateur Netanel Segal
Chef costumière Shams Shaloufi
Musique Zohar Sela
Prise son Alfred Tesler
Design sonore Israel David (RIP),Alex Clod
Chef électricien Rony Shamay
Casting Einat Fernbach
Une production Golden Cinéma/EZ films/Laila Films

Ami Livne

Né en 1975 à Tel Aviv, Ami Livne obtient son diplôme en 2003, à l’université de Beit-Berl en section Cinéma. Il écrit et produit quelques courts métrages avant de réaliser Sharqiya, son premier long métrage de fiction.

Note d’intention

L’histoire du film s’inspire d’un fait réel. En 2005, un agent de sécurité bédouin est gravement blessé en essayant d’empêcher l’explosion d’une bombe à la gare routière de Be’er Sheva. Du jour au lendemain, l’homme accède au statut de héros.

J’ai toujours été fasciné par la culture bédouine et ce film était l’occasion idéale de me plonger totalement dans cet univers, d’en apprendre davantage sur leurs traditions et leur mode de vie. Mon but est de présenter leur histoire au monde. J’ai abordé la réalisation de ce film avec beaucoup de curiosité et une grande modestie, comme si je réalisais un documentaire. Afin d’obtenir un film aussi réaliste que possible, j’ai choisi d’attribuer presque tous les rôles à des Bédouins qui ne sont pas des acteurs et qui vivent dans la même région que le lieu de tournage. Mes maîtres mots à l’heure de diriger mes acteurs : intimité et confiance. Toute l’équipe avait également comme consigne de se faire très discrète, afin de ne pas trop attirer l’attention et donc de pouvoir mener à terme notre projet. Kamel, l’agent de sécurité, est un homme simple, modeste et facile à vivre. Mais il est déchiré entre deux mondes, la société israélienne qui le voit toujours d’un oeil mauvais, et sa famille qui le rejette parce qu’il fait passer sa culture et ses traditions après son travail pour les Israéliens. À travers la figure de Kamel, le spectateur a la possibilité d’en apprendre davantage sur cette minorité silencieuse vivant en Israël, et sur le problème des villages bédouins du sud d’Israël qui ne sont pas reconnus par les autorités. Mais ce film, c’est surtout l’histoire d’un homme qui cherche à se faire accepter par la société dans laquelle il vit.


Entretien – La situation désastreuse des bédouins d’Israël, un sujet sensible

« Sharqiya » est le premier film israélien à traiter de la situation désastreuse dans laquelle se trouvent les Bédouins d’Israël. Lors de la première mondiale au Festival international du film de Berlin, Igal Avidan a rencontré le scénariste Guy Ofran, le réalisateur Ami Livne et l’acteur principal Adnan Abu Wadi.

Comment vous est venue l’idée de ce film ?
Guy Ofran : 
J’ai grandi dans un village juif perdu dans le désert de Néguev et J’allais à l’école avec les enfants de nos voisins, une famille bédouine. Quand j’étais petit, la situation me paraissait normale. Mais en devenant soldat, j’ai remarqué que mes amis bédouins étaient constamment traités de voleurs. En 1948, le père de mes camarades de classe bédouins a soutenu Israël et en retour, s’est vu attribuer un petit lopin de terre. Mais l’affaire a été conclue par une poignée de main, aucun acte de propriété n’a jamais été signé. À sa mort, les autorités ont voulu dissoudre le campement familial. Aujourd’hui, tous les Juifs israéliens de la région soutiennent cette famille bédouine, pour la simple et bonne raison que les Bédouins étaient là bien avant les Israéliens eux-mêmes. L’Etat veut les déplacer de force, mais les Bédouins s’y opposent fermement.

Votre film s’inspire-t-il d’un incident qui a vraiment eu lieu ?
Ofran : 
Oui, je me suis inspiré d’un incident qui s’est produit il y a quelques années : un agent de sécurité bédouin travaillant à la gare routière centrale a tenté d’empêcher un terroriste-kamikaze de se faire exploser. Le Bédouin a été grièvement blessé, mais l’Etat ne l’a jamais reconnu comme une victime du terrorisme. Notre idée première était de faire un film sur l’histoire de cet homme, mais nous avons finalement choisi de créer Kamel, un personnage de fiction.

Comment avez-vous obtenu votre premier rôle d’acteur ?
Adnan Abu Wadi : Un jour, un ami m’a appelé pour me parler d’un réalisateur qui cherchait désespérément un acteur depuis plus de trois ans et qui était en route pour Tel Aviv. Lui était originaire de la ville bédouine de Rahat et moi, d’un petit village voisin que personne ne connaît. À première vue, ça ne m’intéressait pas du tout, je ne suis pas acteur. Je suis agent de sécurité et je travaille aussi pour la compagnie de chemin de fer. Mais mon ami a insisté et j’ai accepté un rendez-vous au pied levé. L’audition clandestine a eu lieu sous le pont d’une autoroute, un peu comme des trafiquants de drogue, mais je tenais vraiment à ce que personne dans mon village ne soit au courant.

Quelle est la signification du mot « Sharqiya » ?
Ami Livne : C’est le nom que les Bédouins donnent au vent d’est, considéré comme mauvais et dangereux.
Abu Wadi : Dangereux parce qu’il apporte toujours poussière et chaleur, et assèche les corps. Ce que les Bédouins vivent aujourd’hui dans le sud d’Israël est un vrai « Sharqiya ». Toutes leurs maisons sont démolies les unes après les autres et plus de 70 000 personnes vivent dans ce qu’on appelle des « villages illégaux ». Cela fait trois générations que nous vivons dans ce même village, qui compte 350 familles, et on ose le qualifier d’illégal ? Toutes nos demandes de permis de construire ont été rejetées. Je n’ai pas envie de vivre dans un endroit spécifiquement créé pour loger les Bédouins, ça ne nous apporterait rien d’autre que des ennuis.

Vous-même attendez également un permis de construire ?
Abu Wadi : Oui, depuis six ans déjà. J’ai 30 ans et j’habite toujours chez mes parents. Si je n’ai pas ma propre maison, je ne peux pas me marier. Où voulez-vous que j’accueille ma petite amie ? On a construit une toute petite maison en pierre il y a neuf ans. À l’époque, c’était encore possible, ce n’est que récemment qu’ils ont commencé à détruire les maisons sans permis. Ils sont même allés jusqu’à démonter la tente de mon cousin.

Avez-vous fait votre service militaire ?
Abu Wadi : Non. De nos jours, presque plus personne ne fait l’armée en Israël. Dernièrement, un garde-frontière bédouin rentré chez lui en permission a trouvé un bulldozer en train de détruire sa maison. Il portait l’uniforme israélien, mais ça n’a rien changé. Alors pourquoi la jeunesse devrait-elle encore faire l’armée ? Nous vivons tous dans le même Etat, j’ai beaucoup d’amis Juifs, mais je suis opposé à la politique du gouvernement.

En septembre dernier, le gouvernement a reconnu une partie des villages bédouins illégaux, mais a tout de même déplacé de force 30 000 Bédouins. Et seuls ceux qui parviendront à prouver leur droit de propriété recevront une compensation financière. Pour les représentants bédouins, c’est une déclaration de guerre.
Abu Wadi : Les gens ont manifesté contre cette décision, ils ont même organisé des blocages routiers, mais on est loin d’un réel soulèvement bédouin ou d’une Intifada.
Ofran : Avant d’écrire le scénario, j’ai traversé avec ma mère de nombreux villages bédouins de la région. Elle m’a dit qu’une nouvelle Intifada éclatera un jour ici, parce que c’est ce qui arrive quand on pousse les gens à bout. L’Etat ne leur fournit ni électricité, ni eau, ni travail, il va même jusqu’à les priver de leur source de revenus en les relocalisant de force. Pas étonnant que socialement, la situation soit au bord de l’explosion.
Livne : À mon avis, des explosions de violence sont probables, mais je ne crois pas à un soulèvement général, les Bédouins sont bien trop divisés pour cela. Chaque tribu, chaque village défend ses propres intérêts.

En 2007, un fermier israélien a tiré sur deux Bédouins qui avaient pénétré dans son ranch, dans le désert de Néguev. L’un des deux a été grièvement blessé, l’autre est mort. Suite à un projet de loi soumis par un parti d’extrême droite, le Parlement a adopté en 2008 une loi autorisant ce type de comportement assimilé à de la légitime défense. Et en 2009, le tribunal a acquitté le fermier en question, pourtant accusé de meurtre et de violence aggravée. Le Bédouin blessé, lui, a été condamné à 20 mois de prison.

Ofran : Cette loi est tout simplement inadmissible et clairement anti-arabe. Si le fermier avait tiré sur un voleur juif, il aurait atterri en prison.
Abu Wadi : Cette affaire m’a profondément choqué. Nous sommes tous citoyens du même Etat, mais aujourd’hui, mon village n’a toujours pas l’électricité et de nombreux villages bédouins n’ont pas l’eau. Les Bédouins perdent peu à peu foi en cet Etat.
Livne : En somme, cette loi est un permis de tuer. Je suis d’accord, le fermier
n’aurait jamais été acquitté si le voleur avait été juif.

Comment s’est passé le tournage avec les Bédouins ?
Livne : Je suis un grand admirateur du mode de vie des Bédouins, de leur recherche d’harmonie avec la nature. Mais je n’apprécie pas leur société très fermée, qui ne laisse aucune place à l’autocritique. C’était peut-être cela, le plus difficile avec ce film, je craignais en permanence que notre projet soit mis en danger par les Bédouins eux-mêmes. Il nous a fallu beaucoup de temps avant de trouver des gens qui acceptent de nous laisser filmer sur leurs terres. Parmi les Bédouins qu’on a réussi à rencontrer, beaucoup nous ont accueillis à bras ouverts, mais nous ont demandé de partir au bout de quelques jours.
Abu Wadi : Ça aurait été trop stressant de filmer dans mon village, devant tous mes proches. En plus, seules les autorités territoriales ont le droit de venir filmer ici, une semaine avant la démolition des maisons. C’est pour cela que les gens sont aussi méfiants en voyant arriver une équipe de tournage.

Où avez-vous finalement tourné le film ?
Livne : Une famille bédouine a accepté de construire le lieu de tournage sur leur terrain. La société de production avait demandé un permis, mais les autorités l’ont refusé. Et de peur qu’elles viennent détruire notre décor, nous ne l’avons construit que deux jours avant le début du tournage et nous avons tout bouclé en cinq jours. Nous avons fini par détruire notre plateau nous-mêmes dans l’une des scènes.

Pensez-vous que votre film puisse empêcher le déplacement forcé des Bédouins ?
Abu Wadi : Je ne pense pas, mais il a au moins le mérite d’exposer la situation au public en Israël.
Livne : J’espère que ce film, que je considère comme patriotique, fera bouger les choses. J’espère aussi que notre point de vue critique contribuera à mettre fin à cette injustice.
Ofran : C’est le premier long métrage israélien qui met en lumière les Bédouins, et rien que ça, c’est un grand pas en avant. Kamel et Adnan sont de vrais patriotes israéliens, c’est sans conteste.

Interview : Igal Avidan © Qantara.de 2012