Film soutenu

Tabou

Miguel Gomes

Distribution : Shellac

Date de sortie : 05/12/2012

Portugal/France - 1h50 - 35mm - N&B - 1:1.37 -Dolby SRD

PILAR passe les premières années de sa retraite à essayer d’embellir le monde, et à s’accomoder de la culpabilité des gens, une tâche de plus en plus frustrante de nos jours. Elle prend part à des veillées pacifiques, collabore avec des organisations caritatives catholiques, héberge des jeunes polonaises venant à Lisbonne pour assister aux rencontres oecuméniques de Taizé, tout en accrochant et décrochant sans cesse du mur une horrible toile, peinte par un ami, afin qu’il ne soit pas vexé de ne pas la voir à l’occasion de l’une de ses visites… Elle est surtout très préoccupée par la solitude de sa voisine AURORA, une octogénaire capricieuse et excentrique qui s’échappeau casino dès qu’elle a de l’argent. Elle parle sans cesse de sa fille qui semble la délaisser, a des « gueules de bois » causées par les antidépresseurs et suspecte sa femme de ménage capverdienne, SANTA, de faire du vaudou à son encontre. Nous savons peu de choses sur Santa, avare de ses mots, qui suit les ordres sans discuter, et pense que chacun devrait s’occuper de ses affaires. Elle suit des cours d’alphabétisation pour adultes, et lit, la nuit, une édition jeunesse de Robinson Crusoé, en fumant des cigarettes allongée sur le canapé de sa patronne. Avant de mourir, Aurora fera un mystérieux voeu et les deux autres joindront leurs efforts pour l’exaucer. Aurora veut revoir un homme, GIAN LU CA VENTURA, quelqu’un dont personne ne connaissait l’existence jusqu’alors. Pilar et Santa découvriront que cet homme existe bel et bien mais qu’il n’a plus toute sa tête. Ventura a un pacte secret avec Aurora, et une histoire à raconter ; une histoire qui s’est passée il y a cinquante ans, peu avant le début de la guerre de colonisation portugaise. Cette histoire débute ainsi : « Aurora avait une ferme en Afrique au pied du Mont Tabou. »

Festival de Berlin 2012 :
Prix de la Critique Internationale FIPRESCI
Prix de L’innovation ALFRED BAUER

Rôles principaux
Teresa Madruga, Laura Soveral, Ana Moreira, Henrique Espírito Santo, Carloto Cotta, Isabel Cardoso, Ivo Müller, Manuel Mesquita

Réalisateur Miguel Gomes
Scénaristes Miguel Gomes et Mariana Ricardo
Image Rui Poças
Son Vasco Pimentel
Montage Telmo Churro et Miguel Gomes
Montage son Miguel Martins et António Lopes
Mixage Miguel Martins
Directeur de production Joaquim Carvalho
Producteur associé Alexander Bohr, ZDF/Arte
Producteur exécutif Luís Urbano
Co-Producteurs Janine Jackowski, Jonas Dornbach, Maren Ade,, Fabiano Gullane, Caio Gullane et Thomas Ordonneau
Producteurs Luís Urbando et Sandro Aguilar
1er assistant Bruno Lourenço
Script Telmo Churro
Consultant N&B Silke Fischer
Décoration Bruno Duarte
Costumes Silvia Grabowski
Maquillage Araceli Fuente et Donna Meirelles
 

Miguel Gomes

Né à Lisbonne, en 1972. Il fréquente l’École Supérieure de Théâtre et Cinéma (Escola Superior de Teatro e Cinema). Il travaille en tant que critique de cinéma dans la presse portugaise entre 1996 et 2001. Ses courts métrages sont primés dans des festivals comme Oberhausen, Vila do Conde, Belfort ou CinemaTexas et présentés à Locarno, Rotterdam, Viennale et Buenos Aires, entre autres. Il se lance dans la réalisation de longs-métrages en 2004, avec La Gueule que tu mérites.   En 2008, il présente, Ce Cher Mois d’Août, à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes. Ce Cher Mois d’Août a ensuite été sélectionné dans plus de quarante festivals internationaux où il a remporté plus d’une douzaine de prix. La Viennale (Autriche, 2008), Bafici (Argentine, 2009) et le Centro de Artes e Imaxes da Corunha (Espagne, 2009) ont présenté des rétrospectives de ses films. Tabou est son troisième long métrage. En 2015, les 1001 Nuits est sélectionné à à la Quinzaine des Réalisateurs.

2015 LES MILLE ET UNE NUITS (L’inquiet, Le désolé, l’Enchanté)
2012 TABOU
2008 AQUELE QUERIDO MÊS DE AGOSTO (Ce cher mois d’août)
2006 CÂNTICO DAS CRIATURAS (cm)
2004 A CARA QUE MERECES (La Gueule que tu mérites)
2003 PRE-EVOLUTION SOCCER’S ONE MINUTE DANCE
AFTER A GOLDEN GOAL IN THE MASTER LEAGUE (cm)
2002 KALKITOS (cm)
2001 TRINTA E UM* (Trente-et-un)(cm)
2000 INVENTÁRIO DE NATAL* (L’Inventaire de Noël)(cm)
1999 ENTRETANTO (cm), (Entre temps)

Questions rapides de Maren Ade et Ulrich Köhler,
réponses étudiées de Miguel Gomes

Quel a été le point de départ du film ?
Le fait que j’ai dans ma famille, une personne qui a plusieurs points en commun avec le personnage de Pilar. Elle a toujours vécu seule, elle est catholique pratiquante, aime aller au cinéma (c’est elle qui m’a amené voir des films quand j’étais enfant), elle passe sans cesse d’une activité humanitaire à une autre. Elle m’a raconté l’histoire de sa relation avec une voisine sénile, et quelque peu paranoïaque, qui se réfugiait souvent chez elle, accusant sa femme de ménage africaine de l’enfermer dans sa chambre la nuit ainsi que d’autres mauvais traitements. Rien de tout cela n’ayant jamais été prouvé. J’ai été intéressé par ces trois femmes solitaires, sexagénaires ou octogénaires, qui malgré leurs tempéraments forts et singuliers sont des personnalitées profondément ordinaires que nous pourrions rencontrer dans la vie quotidienne. Des personnages que nous ne rencontrons habituellement pas dans les films.

Comment est venue l’idée d’une deuxième partie muette dans votre film ?
Je ne suis même pas sûr que la deuxième partie du film soit techniquement muette. Le dialogue est supprimé, mais il y a la voix off d’un narrateur qui raconte les événements qui surviennent dans cette partie du film. Et il y a les lettres que Ventura et Aurora échangent. Quelqu’un raconte une histoire pour quelqu’un d’autre qui l’écoute. Entre les souvenirs de Ventura et la visualisation de son récit par Pilar et Santa, il n’y a pas de place pour le dialogue. Comme si les mots échangés entre les personnages s’étaient perdus dans le temps. C’est également dans cette perspective que je voulais  aborder l’esthétique du cinéma muet (ou du Super 8, une version plus récente et familiale du film ancien et muet). Je ne voulais pas faire un pastiche moderne du cinéma muet, mais plutôt trouver une autre façon de percevoir son essence et sa beauté. Enfin, au moins essayer…

Était-ce une quête pour un cinéma qui n’existe plus ?
Tabou est un film sur le passage du temps, sur les choses qui disparaissent et qui peuvent seulement exister au travers des souvenirs, de la féerie, de l’imagerie – ou du cinéma, qui convoque et rassemble tout cela en même temps. Il y a une très grande ellipse dans film, nous retournons cinquante ans en arrière. Nous passons de la vieillesse à la jeunesse, de l’époque de la « gueule de bois » et de la culpabilité au temps de l’excès, d’une société post-coloniale à l’époque même du colonialisme. C’est un film à propos de choses qui ont disparues : une personne qui meurt, une société qui n’est plus, une époque qui ne peut exister que dans la mémoire de ceux qui l’ont vécue. Nous avons aussi voulu relier cela à un cinéma qui s’est éteint. Nous avons choisi de tourner le film en noir et blanc, également en voie de disparition – 35 mm pour la partie contemporaine, 16 mm pour la partie africaine. Il m’a parfois été demandé pourquoi la première partie du film n’est pas en couleur, selon la convention (quelque peu absurde) qui voudrait que le passé soit en noir et blanc et le présent en couleur. Si la seconde partie du film correspond à ce que l’on appelle conventionnellement « un film d’époque », je ne suis pas sûr que la première partie ne tienne pas autant du « film d’époque ».

Quel rôle a joué l’œuvre de Murnau dans le film ? Quels autres films vous ont inspiré ?
Le travail de Murnau est important pour chacun d’entre nous bien que certains en soient plus conscients que d’autres. De nombreux films m’inspirent – tout autant d’ailleurs que les histoires racontées par des proches, comme c’est le cas ici – mais je n’ai pas beaucoup de mémoire et mon souvenir des films est très confus. Ce qui me reste c’est la sensation des films, ce qui est totalement personnel. Mais le cinéma que je fais n’est pas celui des citations explicites. Plus que tout, j’ai une relation forte avec le cinéma américain classique.

Comment avez-vous travaillé avec les acteurs ?
Pour la première partie du film, nous avons un peu répété les scènes écrites. Pour la deuxième partie, nous n’avons rien répété du tout et nous avons jeté le scénario (tout en suivant les indications de ce que nous avions écrit). J’ai demandé à Ana Moreira d’apprendre à utiliser un fusil et Carloto Cotta de s’entraîner à jouer de la batterie. En Afrique, nous avons formé au sein de l’équipe un groupe composé de quatre personnes, nommé le Comité Central (le scénariste, le monteur, l’assistant réalisateur et moi). Le travail du Comité Central était d’inventer, de réécrire et d’éliminer les scènes ou les idées de scènes qui devaient être tournées les jours suivants. Pendant le tournage, nous improvisions avec les acteurs, qui savaient peu de choses de ce qui se déroulait dans chacune des scènes, bien qu’ils aient une idée générale de l’histoire. Dans certaines scènes, nous avons enregistré le son synchrone, et les acteurs faisaient semblant de parler en disant ce qui leur plaisait (Tabou est un film très intéressant pour le public portugais sourd et muet qui peut lire sur les lèvres…). Dans d’autres scènes, les acteurs parlaient normalement et ensuite nous éliminions et remplacions le son synchrone.

Comment avez-vous travaillé en noir et blanc ?
Nous avons fait un travail de préparation, essayant de comprendre les nuances d’ombres de gris que chaque couleur et gradation de couleur rendrait à l’écran. Rien de très scientifique mais nous photographions le décor, les costumes, les essais de maquillage, les
accessoires, etc. en noir et blanc. Lorsqu’il n’y a plus de couleur, la composition et la façon dont la lumière entre et se diffuse dans le cadre deviennent tous deux essentiels. Mais à un certain point, étant donné que nous avons tous des yeux pour voir, nous mettons la science de côté.

Quelle place occupe l’époque coloniale dans le Lisbonne d’aujourd’hui ?
Mes chers amis, c’est une question de nature sociologique qui exigerait une longue réponse que je ne me sens apte à donner. La guerre entre le Portugal et les anciennes colonies (Angola, Mozambique, Guinée-Bissau, Cap-Vert) a commencé dans la première moitié des années soixante et ne s’est achevée qu’en 1974, avec la proclamation de l’indépendance de ces pays et la chute du régime fasciste à l’issue de « la révolution des OEillets » du 25 avril. Ces événements sont donc encore très récents dans l’histoire du pays. Des milliers de rapatriés sont revenus au Portugal à cette époque. Ma mère, par exemple, est née en Angola et elle est revenue à Lisbonne dans les années soixante pour étudier. Comme je l’ai dit, plus que d’articuler les deux parties autour de la question coloniale, je voulais avoir un élément plus abstrait, allant d’un vague sentiment de perte et de culpabilité à une époque d’excès, de brutalité et de folie (folie sentimentale, sociale et politique). Mais je voulais que la mélancolie de la première partie contamine l’euphorie de la seconde. Les images et les actions des personnages au « paradis » (quelque chose qui n’a jamais existé, pour ceux que l’ironie n’a pas effleuré) viennent déjà d’un « paradis perdu ».

Où se trouve exactement le Mont Tabou au Mozambique ?
Il n’y a pas de Mont Tabou au Mozambique, ne croyez pas tous ce que vous voyez dans le film. Le film a été tourné dans le Nord de la province de Zambézie, près de la frontière avec le Malawi. C’est une région de montagne dominée par la culture du thé. Dans le film, ce n’est même pas censé être le Mozambique, c’est une ancienne colonie portugaise sans nom, un territoire historique indéterminé, réinventé pour un film nommé Tabou.


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