Film soutenu

Tokyo Sonata

Kiyoshi Kurosawa

Distribution : ARP sélection

Date de sortie : 25/03/2009

Japon / 2008 / 1h59 / couleur / 1.85 / DOLBY SR

Tokyo Sonata dresse le portrait d’une famille japonaise ordinaire. Le père, licencié sans préavis, le cache à sa famille. Le fils ainé est de plus en plus absent. Le plus jeune prend des leçons de piano en secret. Et la mère, impuissante, ne peut que constater qu’une faille invisible est en train de détruire sa famille.

Un certain regard, Festival de Cannes / Prix du Jury
Osian Festival, Inde / Meilleur Film
Festival International de Chicago / Grand Prix du Jury
Festival de Mar del Plata, Argentine / Meilleur Réalisateur
Rome Asiatica 08 / Meilleur Film
Hochi Film Awards, Japon / Meilleure Actrice

Réalisateur Kiyoshi Kurosawa / Scénario Max Mannix, Kiyoshi Kurosawa     Sachiko Tanaka / Image Akiko Ashizawa / Lumière Tokuju Ichikawa / Montage    Koichi Takahashi / Mixage Masayuki Iwakura / Superviseur effets spéciaux    Shuji Asano / Décors Tomoyuki Maruo, Tomoe Matsumoto / Musique Kazumasa Hashimoto / Coproducteur Hirohisa Mukuju / Producteur associé Raymond Phathanavirangoon / Producteurs exécutifs Yasushi Kotani, Michael J. Werner Produit par Yukie Kito, Wouter Barendrecht  / Une production Entertainment Farm, Fortissimo Films / En association avec Hakuhodo Dy Media Partners et Pix

Kiyoshi Kurosawa

Né le 19 juillet 1955 à Kôbe. Kiyoshi Kurosawa débute la mise en scène avec des films indépendants en 8mm alors qu’il étudie la sociologie à la Rikkyô University. En 1980, son premier film Shigarami gakuen est projeté au Festival du Film Indépendant de Tokyo. En 1983, il fait ses débuts commerciaux avec Kandagawa wars. C’est en 1997 qu’il accède à la reconnaissance internationale avec Cure, un film de serial killer. En 1999, License to live est projeté à la section Forum au Festival international de Berlin, et Charisma est ovationné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. La même année, Vaine illusion est au Festival de Venise où il retourne en 2006 avec Retribution. Tokyo sonata a reçu le Prix du Jury Un Certain Regard à Cannes en 2008. Son dernier film, Shokuzai (Celles qui voulaient se souvenir et Celles qui voulaient oublier) était en sélection officielle au Festival de Venise, au Festival de Toronto et à Deauville Asie en 2012.

FILMOGRAPHIE
1983 The Kandagawa Wars
1985 The Excitement of the Do-Re-Mi-Fa Girl
1988 Sweet Home
1991 Guard from Underground
1995 Suit Yourself or Shoot Yourself 1 – The Heist
1995 Suit … 2 – The Escape
1995 Suit Y…3 – The Loot
1995 Suit …4 – The Gamble
1996 Suit … 5 – The Nouveau Riche
1996 Suit … 6 – The Hero
1996 A Visit from Fate
1996 The Revenge – The Scar That Never Fades
1997 Cure
1997 Serpent’s Path
1997 Eyes of the Spider
1998 License to Live
1999 Charisma
1999 Séance
2000 Kairo
2000 Vaine illusion
2002 Jellyfish
2002 Doppelgänger
2005 Loft
2005 House of Bugs
2006 Retribution
2008 Tokyo Sonata
2012 Shokuzai : Celles qui voulaient se souvenir
2012 Shokuzai : Celles qui voulaient oublier

Ce film met en scène une famille ordinaire dans le Japon contemporain.  Je pars d’une situation où les mensonges, le doute et l’incommunabilité se sont installés dans cette famille. Sans aucun doute, ceci est contemporain et ceci est le Japon.  Pourtant, je voudrais montrer une lueur d’espoir à la fin. Puis-je faire cela ? Et si j’y arrive, est-ce que cela sauverait une famille ordinaire ?  Je l’ignore. Et comme je l’ignore, j’ai eu le désir de faire ce film.

Kiyoshi Kurosawa


Entretien avec le réalisateur

Vous vous étiez déjà écarté des films d’horreur, avec « Bright future » par exemple. Mais « Tokyo Sonata » marque un changement bien plus profond dans votre filmographie.
 
J’espère que le public comprendra que ce film est très différent de tous ceux que j’ai réalisés jusque là. Cela fait dix ans que mes films sont montrés à l’étranger. Durant cette décennie, une nouvelle génération de réalisateurs bien plus jeunes que moi ont été découverts. De nouveaux genres de cinéma, comme la nouvelle vague des films d’horreur japonais, sont apparus, et j’ai essayé de rester en phase avec ce qui se passait. Pourtant, je n’ai jamais pu me défaire du sentiment que ces films ne sont que les conséquences de tout ce que nous n’avons pas réussi à accomplir au vingtième siècle. Je me suis dit qu’il était temps que je réfléchisse à ce que représente le cinéma, en me plaçant dans une perspective différente. Je me demande vraiment quel genre de génération est celle du vingt et unième siècle. Pourquoi ce sentiment de confusion ? Pourquoi est-ce si loin de la vision du futur que nous avions au vingtième siècle ? Qui est responsable de la façon dont les choses ont évolué ? C’est difficile de trouver une réponse. « Tokyo Sonata » est une façon de me forcer à me poser ces questions, et j’espère que ce film marque pour moi un nouveau départ. 

Ce titre « Tokyo Sonata » évoque les films d’Ozu, qui parlent également de la famille. Etait-ce une intention délibérée ?
Le titre en lui-même n’a rien à voir avec Ozu. Il a pour référence une sérié télévisée japonaise qui repasse souvent, et qui met en scène le quotidien d’une famille ordinaire. Dans ce sens, le titre va bien avec le sujet. Mais je suis un immense fan de l’oeuvre d’Ozu. Alors, même si ce n’était pas intentionnel, peut-être qu’inconsciemment certaines scènes du film évoquent son cinéma. Je m’en suis rendu compte au fil du tournage. C’est un honneur pour moi que mon film puisse vous évoquer Ozu, mais cela me fait peur aussi…

Vos films sont généralement très allégoriques, et celui là ne faillit pas à cette règle. Dans quelle mesure peut-on dire que cette famille incarne le Japon ?
Avec ce film, j’ai tenté de dessiner le portrait d’un petit drame qu’on peut trouver dans n’importe quelle famille vivant à Tokyo aujourd’hui, et de le faire sans aucune exagération. Mais ces personnages ne sont pas pour autant coupés du reste du monde. Qu’ils en aient ou non conscience, ils sont sans cesse soumis aux forces d’un monde qui les dépasse et les malmène. La famille de mon film est directement reliée au Japon, qui lui-même est directement relié au reste du monde. Vaut-il mieux protéger désespérément ce qui existe dans le pays, ou libérer toutes nos forces vers l’extérieur ? Il y a énormément de Japonais qui font face à ces choix chaque jour, c’est pourquoi le vingt et unième siècle est celui de la confusion. Et je suis un de ces japonais, je ressens cette confusion. 

Y-a-t-il réellement de nombreux japonais au chômage qui prétendent aller chaque jour  travailler ?  Depuis les années quatre vint dix, on sait que ce sentiment de « travail à vie » auquel les Japonais étaient accoutumés appartient désormais au passé. Comment cela a-t-il évolué?
Je pense que parmi les nombreux cadres qui partent travailler chaque matin, une grande partie d’entre eux est au chômage. Depuis toujours, les pères japonais préservent leur autorité sur leur famille en faisant de leur vie extérieure un mystère que la famille ne doit jamais percer. Pour garder un secret, les Japonais sont imbattables. Continuer à travailler, en cachant vos réelles capacités, est la clé de voûte de ce mythe du « travail à vie ». Je pense que le principe de stabilité que ces habitudes protégeaient vit ses derniers moments.. 

Dans le scénario original écrit par Max Manning, l’histoire était focalisée sur le père et son fils. Dans votre adaptation, vous avez renforcé le rôle de la mère, faisant d’elle l’arc émotionnel du film. Pourquoi lui avoir donné cette place proéminente ?
Je voulais que cette famille soit typiquement japonaise : le père, la mère, les deux enfants.  Donc il fallait forcément redessiner la mère. Elle est la seule à ne pas sortir de la maison, elle ne connait aucun des conflits avec le monde extérieur que le reste de sa famille affronte chaque jour. C’est à cause de cela qu’elle devient le meilleur symbole de la famille. Si elle est détruite, sa famille est détruite. Si elle renait, sa famille renait 

Est-ce que les sentiments ambivalents et la perte de confiance que le jeune fils ressent envers l’école et ses professeurs (ces piliers de la culture japonaise) symbolisent la naissance d’une nouvelle génération, plus libre d’exprimer ses états d’âme ?
 Dans chaque pays, dans chaque génération, les jeunes se rebellent contre les figures d’autorité qu’incarnent l’école et les professeurs. Kenji est un gamin en passe de devenir un jeune homme. Je voulais montrer comment un seul acte de rébellion va l’isoler complètement de la société dans laquelle il vit. Il se sent seul, pour la première fois de sa vie. Ce sentiment ne disparaît pas quand il rentre chez lui, ni quand il s’enfuit. Finalement, la police l’attrape et le traite comme un criminel. C’est sans doute cela, pour un adolescent, devenir adulte… 

Le personnage du film aîné, qu’on voit peu, est le plus politique du film. Une scène de bus fait penser aux films japonais sur la seconde guerre mondiale, avec le fils patriote qui salue sa mère malheureuse de le voir partir au front. Est-ce de votre part un commentaire sur les rapports que le Japon entretient avec les Etats-Unis ?
Plutôt qu’un commentaire personnel, j’y vois la réalité du Japon d’aujourd’hui. S’il était possible à des jeunes Japonais de s’engager aussi facilement dans l’armée américaine que dans le film, je pense que de nombreux Japonais le feraient. Ce n’est pas tant qu’ils aiment la guerre. Mais c’est une façon d’échapper à cette sensation d’étouffement qu’on ressent au Japon, au point que la guerre devienne une option. Le Japon interdit de s’engager, mais du bout des lèvres. Et les jeunes sentent qu’il va bien falloir que les choses changent au Japon. J’ai peur pour mon pays, je le dis du fond du cœur. Mais comme le père du film, je ne sais pas ce que je pourrais dire à ces jeunes pour les convaincre de ne pas partir faire la guerre.

Votre acteur fétiche, Koji Yakusho, tient le rôle peu banal d’un cambrioleur dépressif. Son personnage apporte un humour imprévisible à une situation a priori très tendue. Comment ce rôle a-t-il évolué, compte-tenu de la personnalité de Yakusho ?
Koji Yakusho incarne toujours une sorte de hors la loi dans mes films. Dans cette famille, personne n’a l’étoffe d’un hors la loi. Mais comme je voulais que cette famille connaisse une réelle destruction, dans la seconde partie du film, j’avais besoin qu’un hors la loi surgisse brusquement du monde extérieur. Et cela va comme un gant à Koji Yakusho, je n’aurais pas pu imaginer quelqu’un d’autre dans ce rôle. J’ai eu l’immense chance qu’il accepte un rôle aussi petit avec autant d’enthousiasme. En plus, il s’agissait d’incarner le hors la loi le plus minable de tous mes films ! Ce cambrioleur est plus timide que le père de famille, ou même que son jeune fils. C’est ce qui le rend aussi drôle parfois…