tremblements de Jayro Bustamante
Film soutenu

Tremblements

Jayro Bustamante

Distribution : Memento Films Distribution

Date de sortie : 01/05/2019

France, Guatemala, Luxembourg - 1h47

Guatemala. Pablo, 40 ans, est un « homme comme il faut », religieux pratiquant, marié, père de deux enfants merveilleux. Quand il tombe amoureux de Francisco, sa famille et son Église décident de l’aider à se « soigner ». Dieu aime peut-être les pécheurs, mais il déteste le péché.

Avec : Pablo Juan Pablo Olyslager • Isa Diane Bathen • Francisco Mauricio Armas Zebadúa • Pasteur Rui Frati • Femme du pasteur Sabrina de La Hoz • Rosa María Telón

Scénario et réalisation Jayro Bustamante • Images Luis Armando Arteaga • Décors Pilar Peredo • Montage César Díaz, Santiago Otheguy • Son Eduardo Cáceres, Gilles Benardeau, Julien Cloquet • Supervision musicale Herminio Gutiérrez • Une production Tu Vas Voir et La Casa de Producción • En coproduction avec Memento Films Production, Iris Productions et Arte France Cinéma • En association avec Memento Films Distribution et Film Factory Entertainment • Production exécutive Gustavo Matheu • Producteurs Gérard Lacroix, Jayro Bustamante, Marina Peralta, Georges Renan  • Coproducteurs Alexandre Mallet-Guy, Nicolas Steil, Olivier Père, Rémi Burah • Producteurs délégués Edgard Tenembaum, Pilar Peredo • Avec la participation de Aide aux Cinémas du Monde, Centre National du Cinéma et de l’Image Animée, Institut français, Film Fund Luxembourg, Arte France • Avec le soutien de la Fondation Gan pour le cinéma, la Région Nouvelle-Aquitaine, Cinergia Hivos, Ministerio de cultura y deportes de Guatemala

Jayro Bustamante

Né au Guatemala en 1977, de nationalité guatémaltèque et française, Jayro Bustamante fait ses études de communication à l’Université de San Carlos de Guatemala. Ses débuts professionnels se font dans la publicité et il réalise des spots publicitaires pour l’agence Ogilvy & Matter. Pour poursuivre ses études cinématographiques il s’installe à Paris et suis une formation au CLCF, Conservatoire Libre du Cinéma Français, filière réalisation. Puis, il parachève ses études au Centre Expérimental Cinématographique de Rome, filière scénario. De retour au Guatemala, il fonde sa propre compagnie de production, La Casa de Producción. Il produit son courtmétrage CUANDO SEA GRANDE et son premier long-métrage IXCANUL, qui se déroule au sein d’une communauté Maya Cakchiquel. IXCANUL obtient l’Ours d’argent Prix Alfred-Bauer lors de la Berlinale 2015 et gagne plus de 50 prix internationaux. IXCANUL a représenté le Guatemala aux Oscar et Gloden Globes 2016.
En 2017, il crée La Sala de Cine, la première salle de cinéma au Guatemala dédiée au cinéma indépendant. Il réalise ensuite son deuxième long-métrage TREMBLEMENTS (TEMBLORES), présenté à la Berlinale 2019 dans la section Panorama.
Il produit plusieurs projets d’autres réalisateurs guatémaltèques. Il a fait partie des jurys de plusieurs festivals internationaux, tels que la Berlinale 2016, le festival de Bruxelles 2018, le festival de Biarritz 2018. Jayro Bustamante est lauréat de la Fondation GAN pour le Cinéma 2017.

Filmographie

2019 TREMBLEMENTS (TEMBLORES) – long-métrage
Panorama, festival de Berlin 2019
Prix du public, Compétition officielle, rencontres Cinélatino de Toulouse 2019

2015 IXCANUL – long-métrage
Ours d’argent prix Alfred-Bauer, festival de Berlin 2015

2011 CUANDO SEA GRANDE – court-métrage
Prix de Qualité du CNC, Compétition internationale, festival de Clermont-Ferrand 2012

2010 USTED – court-métrage

2009 AU DÉTOUR DES MURS, LES VISAGES D’UNE CITÉ – long-métrage documentaire

2006 TODO ES CUESTIÓN DE TRAPOS – court-métrage d’animation

2005 YOYO – court-métrage

ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR

Après IXCANUL, vous continuez votre exploration de la société guatémaltèque avec TREMBLEMENTS. Comment est né ce projet ?
A l’origine de l’histoire de Pablo, il y a le récit que m’a fait un homme rencontré alors que je terminais IXCANUL. Il m’a parlé de sa vie, de son homosexualité. Ce qui aurait pu être le simple récit d’un coming-out est devenu peu à peu beaucoup plus complexe car je réalisais que j’avais face à moi un homme qui était gay et homophobe à la fois. Je réalisais progressivement que les contradictions qui habitaient cet homme venaient du carcan dans lequel il vivait, du poids de la société dans laquelle il avait grandi et vécu jusque-là. Du coup, je me suis intéressé à la manière dont mon pays considérait les gays. J’ai questionné mon entourage, j’ai rencontré d’autres « Pablo ». La plupart des hommes et des femmes avec qui j’ai discuté m’ont dit qu’ils avaient suivi un traitement, pas forcément tel que décrit dans le film, mais ils avaient été voir un psy, et le plus souvent ils avaient fait cela à la demande ou sous la pression de leur famille. Cette démarche n’était évidemment pas constructive : il n’était pas question de les aider à mieux se comprendre et s’accepter, il s’agissait de les remettre dans ce que la société considère comme le droit chemin, ils devaient ni plus ni moins être guéris de leur homosexualité.

Au-delà de l’homosexualité, le film questionne aussi le poids de la religion dans votre pays, et plus particulièrement la place des courants évangélistes ?
Oui. Il était logique de parler de religion si je parlais de la condition des gays au Guatemala. Les mouvements évangélistes sont quasiment devenus une force politique dans le pays – et en Amérique latine plus largement. La diversité des cultes propres à l’évangélisme a permis de toucher toutes les couches de la société. La main mise est totale. La religion est omniprésente à tous les niveaux. Tout le monde ou presque se revendique d’une église que ce soit en famille ou au travail. Votre religion peut même figurer dans votre CV. Il est très difficile de vivre en dehors des préceptes religieux, de s’échapper du cadre admis par la majorité, de vivre selon ses propres règles et désirs. C’est ce que raconte TREMBLEMENTS.
L’histoire de Pablo n’est pas propre à ce personnage, elle est partagée par beaucoup de gens dans un pays où 98% de la population est croyante. Les églises évangélistes ont pu prendre une telle importance au Guatemala à cause des carences même de l’État. Elles se sont souvent substituées à celui-ci pour assurer de nombreux services et assurer une sorte d’unité sociale. Par exemple, la plupart des psychothérapeutes qui sont censés « guérir » les gays sont liés à une église, de fait il n’est donc plus question de soins mais bel et bien d’endoctrinement.

En voulant vivre son histoire avec Francisco, Pablo est mis au ban de sa famille et de la société…
Il paie le prix fort. Il perd ses enfants, son travail, son statut social… Et de fait il n’arrive à s’épanouir nulle part, ni dans une hétérosexualité de façade ni dans une homosexualité affirmée. Il est la victime d’une société non seulement religieuse mais aussi extrêmement machiste et misogyne. En fait, la part féminine de l’homme n’a pas droit de cité. Tout ce qui compte est de sauver les apparences. Comme Pablo dans le film, beaucoup de gays sont mariés par convenance, et leurs femmes sont également des victimes collatérales de cette négation à tout prix de l’homosexualité.

Le film est autant le parcours de Pablo que celui de sa femme Isa…
En construisant le personnage de Pablo, je construisais forcément celui de son épouse. Isa est ainsi devenue progressivement un personnage-clé. Au fil de l’écriture, je m’interrogeais sur sa manière de réagir à l’émancipation de son mari. Elle aussi va devoir affronter le regard des autres, le jugement de la société. Elle choisit d’abord l’attaque en privant Pablo de ses enfants, puis elle fait son propre chemin, sa thérapie à elle comme cette scène où elle suit les cours de sexualité dispensés par la femme du pasteur. En fait, la société lui impose d’être une bonne épouse qui sache répondre aux désirs de son mari.

Pablo accepte de suivre une thérapie de conversion sous la pression de sa famille. Comment avez-vous pensé son cheminement ?
C’était un des enjeux majeurs du film : la thérapie aussi surréaliste soit-elle devait être crédible. Je me suis donc inscrit à un programme de conversion afin de voir par moi-même en quoi cela consistait, mais j’ai vite été reconnu par les organisateurs qui se sont doutés que je n’étais pas là pour changer ma nature mais plutôt faire des recherches pour mon prochain film. J’ai beaucoup discuté avec des personnes qui ont suivi ce genre de thérapies. Plus je me documentais, plus j’avais le sentiment de revenir un demi-siècle en arrière tant cela témoigne d’une vision archaïque de la sexualité et de la société. Dans le film, la conversion va jusqu’à la castration chimique en plus de l’enseignement religieux, du coaching sur la masculinité et d’un régime alimentaire spécial. Cela arrive aussi dans la réalité. C’est d’autant plus choquant que des gens sont convaincus que ce type de traitement peut marcher.

La famille de Pablo est d’ailleurs convaincue de la pertinence de cette thérapie…
Sa famille pense agir pour le bien de Pablo quitte à lui faire du mal en l’obligeant à nier qui il est vraiment. C’est d’ailleurs ce qui m’a le plus frappé au cours de mes recherches : les familles sont toujours convaincues d’agir par amour de leurs membres dont elles pensent qu’ils se sont égarés. Ainsi, c’est par amour de l’autre qu’elles font souffrir ceux qui osent être différents.

IXCANUL se déroulait au pied d’un volcan, TREMBLEMENTS s’ancre dans le quotidien de Guatemala City. Les deux films s’opposent et se répondent en même temps dans leur manière de montrer la réalité du pays…
Qu’il s’agisse de la campagne ou de la ville, les fonctionnements sociétaux sont finalement assez similaires. Maria dans IXCANUL et Pablo dans TREMBLEMENTS se ressemblent en ce sens qu’ils sont chacun entravés par la société. Ils sont enfermés dans un mode de vie qu’ils n’ont pas choisi et qu’ils subissent. Mon propos est moins anthropologique que sociologique. Les deux films sont complémentaires.

L’esthétique du film entier est au service du récit comme si le spectateur plongeait en apnée dans le quotidien de Pablo. Comment êtes-vous parvenu à incarner visuellement cet état de tension permanente ?
Je travaille avec Luis Armando Arteaga, mon directeur de la photo, depuis mes premiers courts-métrages. Nous voulions un film qui soit intemporel d’un point de vue esthétique, qui ne soit attaché ni à une mode ni à une époque. Nous avions des références comme INTERIEURS de Woody Allen ou BIRTH de Jonathan Glazer dans la manière de filmer la bourgeoisie enfermée dans ces grands appartements, mais il fallait aussi rendre compte de la diversité d’une ville comme Guatemala City où les classes sociales sont extrêmement marquées. D’un côté nous avions l’univers feutré, étouffant où a grandi Pablo, la demeure cossue de ses parents, de l’autre le monde bouillonnant – presque chaotique – de Francisco, et au milieu l’univers froid quasi clinique de l’église évangéliste. Nous avons travaillé sur une palette de couleurs mordorées qui enrichit le réel tout en respectant le naturel.

Ce souci du réel se retrouve également dans la manière de travailler avec vos acteurs…
J’ai travaillé pendant plus d’un an avec les acteurs. Je ne voulais pas qu’ils deviennent les personnages, mais qu’ils ressentent leurs émotions et les nourrissent de leur vécu. Ce sont en fait les principes de Constantin Stanislavski que nous avons mis en application avec le concours d’une coach guatémaltèque. J’ai demandé aux quelques acteurs réellement professionnels d’abandonner leurs réflexes de jeu car je voulais que tout le monde soit au même niveau. Il leur a fallu rechercher leur part d’intime. J’avais aussi besoin qu’ils aient tous une confiance absolue dans le projet afin de pouvoir s’abandonner à la méthode. Ce fut certes éprouvant mais aussi très fort et très gratifiant.

Le tabou de l’homosexualité a-t-il compliqué le processus ?
80% des personnes auditionnées ont finalement renoncé au film à cause du sujet. En revanche, Juan Pablo Olyslager et Mauricio Armas Zebadúa qui interprètent respectivement Pablo et Francisco ont parfaitement compris ma démarche. Pour eux, hétérosexuels dans la vie, il s’agissait avant tout de trouver le ton juste, de jouer des homosexuels sans tomber dans la caricature. Ils n’ont pas eu peur d’assumer leur sensibilité. Juan Pablo Olyslager qui est un des acteurs les plus connus au Guatemala s’est complètement investi dans le film. Il a même accepté de perdre 12 kilos. Il a donné au personnage de Pablo ce physique ténébreux que j’avais en tête. Lors des ateliers avec les acteurs dans les mois qui ont précédé le tournage, il a été le premier à s’ouvrir aux autres, à partager son vécu et ses émotions pour nourrir son rôle. Il était l’acteur le plus expérimenté, et c’est lui qui a dû accepter de s’abandonner le plus. Il a fait cadeau de sa personne au film.