Film soutenu

Vivre et chanter

Johnny Ma

Distribution : Epicentre Films

Date de sortie : 20/11/2019

Chine/France - 1h39- 2K DCP - image 1.78 - son 5.1

Zhao Li dirige une troupe d’opéra traditionnel de Sichuan qui vit et joue ensemble dans la banlieue de Chengdu.
Quand elle reçoit un avis de démolition pour son théâtre, Zhao Li le cache aux autres membres de la compagnie et décide de se battre pour trouver un nouveau lieu où ils pourront tous continuer de
vivre et chanter. S’engage alors une lutte pour la survie de leur art.

Quinzaine des réalisateurs Cannes 2019

Avec : Zhao Xiaoli Zhao Li • Gan Guidan Dan Dan • Yan Xihu Lao Wu • Yan Huanghe Lao Er • Deng Xiurong Femme de Lao Er • Liu Min Liu Min • Li Tangrong Li Linh • Su Guangjin Frère Su • Gao Chenggen Grand-mère Gao • Wan Minghua Wan Er  • Wang Sanyun Wang Sanyun • Zhao Hongqiong Sœur Zhao • Zhao Guoxiang Grand-père

Fiche technique Ecrit et réalisé par Johnny Ma • Directeur de la photo Matthias Delvaux • Décors Zhang Xueqiang • Costumes Adam Lim • Montage Ana Godoy • Sound design et mixage Guido Berenblum  • Ingénieur du son Sheng Yong • Effets spéciaux McMurphy •  Musique originale Jongho You, Jimin Kim • Musique additionnelle Reggie Ba-Pe III • Directeur De Production Li Hua • Production Vincent Wang  pour HOUSE ON FIRE  (France), Jing Wang  et Wu Xianjian  pour IMAGE X PRODUCTIONS  (Chine) •  Avec le soutien de l’Aide aux cinémas du monde – Central national du cinéma et de l’image animée – Institut Français, the Hubert Bals Fund+Europe Programme of the International Film Festival Rotterdam, Doha Film Institute, CineMart, Biennale College Cinema, Hong Kong • Asia Film Financing

Johnny Ma

Né en Chine, Johnny Ma émigre au Canada à l’âge de 10 ans. Diplômé de l’Université de Columbia, il retourne en Chine en 2012 pour réaliser son film de thèse, A Grand Canal (2013). Son premier long-métrage, Old Stone, est présenté en première au Festival international du film de Berlin en 2016. Le film a remporté le prix du meilleur premier long-métrage canadien au Festival international du film de Toronto et au 5e Canadian Screen Awards.

Filmographie

OLD STONE – 2016
Festival des 3 Continents Nantes / Berlinale / Festival International du film de Toronto – TIFF – Meilleur premier film de fiction canadien / Festival International du film de Vladivostok – Prix FIPRESCI – Meilleure fiction / Festival International du film de Stockholm – Meilleur réalisateur et meilleur scénario / Festival International du film de Hong Kong / Festival International du film de Vancouver / Festival International du film de Melbourne

A GRAND CANAL – 2014 – 20 min –
Festival International du film de Toronto – TIFF / Festival International du film de Dallas

VIVRE ET CHANTER – 2019
Quinzaine des Réalisateurs

ENTRETIEN AVEC JOHNNY MA

Vous êtes né à Shanghai en 1982. Est-ce que votre film était un moyen de renouer avec vos origines culturelles ?
J’ai réalisé en Chine mon film de fin d’études ainsi que mes deux premiers longs-métrages. C’était un moyen pour moi de voir si je pouvais travailler et créer aussi bien en Chine qu’aux Etats-Unis. Je devais tenter cette expérience. J’ai ensuite tourné mes autres courts-métrages au Brésil et en Australie. J’aime voyager pour aller à la rencontre de communautés et pour raconter des histoires aussi honnêtes que possible. Si j’étais capable de tourner aux quatre coins de la planète, je devais être capable de le faire en Chine. Je savais que le marché chinois était en pleine mutation et qu’il était difficile pour les réalisateurs de tourner là-bas. Avec ce film, j’ai pu toucher à des domaines que je ne connaissais pas mais qui étaient présents depuis toujours en moi comme la musique et les récits de vie. Ce film m’a permis de raconter une histoire personnelle à travers toutes les personnes que j’ai rencontrées. J’ai maintenant une famille de cinéma en Chine qui reste un endroit où il est encore très difficile de tourner. C’est sans doute pour ces raisons-là que je choisis toujours de faire la postproduction de mes films ailleurs. En l’occurrence, l’Argentine pour To Live To Sing. Quand on est en montage, on est si vulnérable ! Je préférais préserver le film de la menace qui pèse en Chine. Monter un film à l’extérieur du pays où il a été tourné garantit son intégrité narrative et esthétique. Je voulais expérimenter au niveau du rythme du film, avoir quelque chose d’hybride entre l’Europe et la Chine.

Quelle est la genèse du film ?
C’est une histoire assez atypique ! Après Old Stone, j’étais assez précaire. J’ai donc accepté un travail pour la télévision. Il fallait créer une série télévisée à partir d’un documentaire qui avait été tourné par un journaliste chinois. Ce film relatait la vie au quotidien d’une petite troupe d’opéra chinois. J’ai aimé ces personnages et je me suis dit qu’il y avait matière à un long-métrage. Je me suis rendu sur place et je me suis rendu compte que beaucoup de changements étaient intervenus. La troupe continuait à donner des représentations chaque soir mais elle se battait pour sa survie. J’ai fini mon travail pour la télévision et je suis retourné en Chine où j’ai passé sept mois à leurs côtés pour nourrir l’écriture du scénario. Ma situation bien que précaire était privilégiée par rapport aux membres de la troupe. Prenons la directrice de la troupe. Elle a dans les 40 ans et gagne moins de 10 dollars par jour. C’est la seule chose qu’ils savent faire. Ils n’ont pas de passeport, ils ne parlent pas d’autres langues, n’ont pas d’autres amis, ni d’autres modes de vie. Ils sont contraints de s’adapter au goût du public et de se moderniser mais cela n’entache en rien leur joie de créer. S’ils étaient nés à une autre époque, ils ne rencontreraient pas autant de difficultés, liées aux changements du monde moderne. Ils s’accrochent à leur identité, leurs valeurs morales et à leur famille. Est-ce qu’ils pourront continuer de cette manière ? La question reste en suspens. Leur avenir est plutôt sombre. Mais même quand tout cela aura disparu, il restera la magie de ce qu’ils ont créé ensemble.

Comment avez-vous travaillé avec les personnages du film ?
Ils jouent leurs propres rôles. Zhao Li est vraiment la directrice de cette troupe. Même si ce ne sont pas des acteurs professionnels de cinéma, cela reste des comédiens. Ils étaient habitués à la caméra. Là où cela a été le plus compliqué, c’était avec Dan Dan car dans le documentaire, elle avait 16 ans, l’âge où l’on a généralement envie de quitter le nid. Quand je me suis rendu sur place, elle avait 22 ou 23 ans. Elle était complètement différente. Elle chantait dans les night-clubs, gagnait beaucoup d’argent, possédait une voiture et une maison. Je suis très heureux de l’avoir fait revenir le temps du tournage car il était important de conserver cet esprit de famille. Zhao Li était heureuse de la retrouver. Le dernier jour du tournage a été difficile pour elle car elle s’accrochait encore au rêve de la voir revenir définitivement.

Dans votre film précédent, Old Stone, un chauffeur de taxi se bat contre l’administration chinoise. Ici, on ne voit quasiment plus ces représentants, comme ce Chef qui pourrait sauver la troupe mais qu’on ne voit jamais…
Le gouvernement chinois n’est pas la solution aux problèmes. Dans le cas de l’opéra et de sa survie, on se rend compte que le public ne souhaite plus acheter un billet, aussi peu cher soit-il, pour aller voir un opéra. Le Chef cristallise à la fin tous les espoirs, la peur et la frustration de Zhao Li. Pour moi la vraie fin du film se concentre dans les dix dernières minutes où la troupe se réunit pour partagerun dernier repas. Les comédiens voulaient qu’on tourne cette scène. C’était d’une grande justesse car ils jouaient leurs propres rôles.

Pouvez-vous nous parler de l’importance culturelle de l’opéra chinois. Est-ce un art en train de disparaître ?
Il est en pleine mutation car le public change lui aussi. C’est devenu une attraction pour touristes. Il y a une différence entre l’opéra du Sichuan et celui de Pékin qui a toujours été destiné aux classes aisées. Celui du Sichuan était aussi populaire que les pièces de Shakespeare. Dans les années 1980-1990, quand les artistes se produisaient à l’extérieur, il y avait des milliers de personnes. On les adulait et ils gagnaient beaucoup d’argent. La troupe de Zhao Li joue des opéras traditionnels qui racontent des histoires. Aujourd’hui, les gens mangent pendant les représentations qui ne consistent plus qu’à voir un comédien changer de masques.

Faut-il voir dans la dislocation de l’opéra une métaphore d’un savoir-faire qui se perd également dans le domaine du cinéma chinois, contraint lui aussi de s’adapter aux nouveaux publics ?
C’est en effet le sentiment que nous avions pendant que nous faisions le film car vous connaissez l’état du cinéma indépendant chinois ! C’était ce qui m’intéressait aussi à travers ce film : parler de mon art mais aussi de mon enfance. Ma grand-mère était une grande amatrice d’opéra. J’ai toujours vu les acteurs d’opéra comme des dieux. Nous avons mis une année entière à trouver les financements. Quand on présentait le film à des investisseurs chinois, on nous demandait au bout de quelques minutes pourquoi nous cherchions à faire un film, alors qu’on pouvait se faire plus d’argent en réalisant des pubs. Je savais à ce moment-là que c’était la fin de la réunion. L’histoire ne les intéressait pas mais seulement qui allait investir dans le film.

Pendant les différentes représentations, les visages des plus vieux spectateurs irradient. Comment avez-vous filmé ces séquences ?
Tout cela était très pensé en amont. Le théâtre que l’on voyait dans le documentaire n’a finalement pas été détruit mais quand nous sommes revenus sur les lieux, tout était à l’abandon. Nous avons donc reconstruit et fait revenir le public. Le film a été fait en un mois. Nous avons donné des représentations tous les deux jours pour que le voisinage et le public habituels réinvestissent les lieux. Les gens que l’on voit dans le film viennent de différents coins. Zhao Li appelait le responsable du fan club de l’opéra qui à son tour appelait tout le monde. Certains venaient en bus pour voir le spectacle. Quand on filmait, c’était avec un vrai public auquel on donnait une vraie représentation. Nous filmions les réactions pendant le spectacle. De cette manière, nous avons obtenu beaucoup d’images de leurs visages. Ils appréciaient vraiment le spectacle. On installait le matériel avant l’arrivée du public pour que les spectateurs se comportent naturellement et ne jouent pas pour la caméra. L’homme âgé en fauteuil roulant, que l’on voit accompagné de son fils à chaque représentation, est en fait un acteur. Son personnage est basé sur un homme âgé que l’on voyait dans le documentaire. Il venait avec son fils chaque jour et pleurait à chaque représentation. On a compris plus tard pourquoi il pleurait. Cela lui rappelait sa défunte femme qui aimait l’opéra. Nous avons eu de la chance de tomber sur cet acteur que j’ai pu diriger en toute confiance et qui est, par ailleurs, en parfaite santé !

Quelles ont été vos références sur ce film ?
J’ai demandé à tous mes collaborateurs de voir Les Herbes flottantes de Ozu et Les Chaussons rouge de Pressburger et Powell, ainsi que le documentaire original. Je leur ai dit que notre film était à la croisée de ces trois œuvres.

Comment avez-vous élaboré la lumière, tant à l’intérieur du théâtre qu’en extérieurs et qui donne l’impression de deux mondes séparés ?
Pour moi, le cinéma est l’art du temps à partir duquel on peut créer des performances d’acteur,des histoires et des films puissants. Pour ce film précisément, j’ai travaillé avec un directeur de la photographie belge qui vit à Pékin et qui est sans doute plus chinois que moi. Notre organisation était militaire au quotidien. Nous avons aménagé le théâtre comme un studio de cinéma dans lequel nous avons disposé différents objets. Il savait où placer la lumière exactement. Il était capable de créer une lumière naturelle qui paraisse authentique. Le théâtre est un endroit éclairé par des lumières chaudes. Le seul endroit où l’on avait des lumières rouges était la scène, ce qui relevait d’un choix de ma part. Nous avons aussi tourné dans les chambres à coucher où nous avons fait des plans « tatamis » comme chez Ozu, de manière à vivre au même rythme que la troupe.

La relation entre la tante et Dan Dan est très compliquée. Comment la définissez-vous ?
Dans la vraie vie, les deux femmes sont vraiment tante et nièce. Les parents de Dan Dan sont également dans la troupe, c’est le couple qui se plaint sans arrêt. La relation que Dan Dan entretient avec sa mère est compliquée car comme sa tante, elle l’exploite. Dan Dan a eu une enfance difficile. Sa mère ne la désirait pas et la seule raison pour laquelle elle l’a acceptée, c’est parce qu’elle se produisait sur scène. Zhao Li est au courant mais c’est aussi elle qui, lorsqu’elle a vu Dan Dan jouer à l’âge de 11 ans, a suggéré à sa mère de fonder une troupe. Nous avons payé les artistes pendant un mois pour qu’ils viennent au théâtre et ne jouent pas à côté. On avait une coach en improvisation qui travaillait avec eux. On revenait ensuite au scénario pour avoir quelque chose de plus structuré. Ce fut une lutte et beaucoup d’énergie mais à la fin, ils connaissaient leurs scènes si bien qu’ils avaient gagné en expérience, tout en restant eux même.

La scène de combat entre les deux femmes sur scène est très sophistiquée. Comment l’avez-vous conçue ?
On a tourné cette scène en trois jours dans un studio de cinéma, ce qui était une première pour moi. Il y avait beaucoup plus de lumière. Je voulais filmer cette scène de façon à ce qu’on ait le sentiment d’être en train de regarder un opéra. Zhao Li me disait que quand elle montait sur scène, elle était entièrement dans son monde et qu’une fois la représentation terminée, elle se rendait compte qu’il n’y avait que dix personnes dans le public. Je me suis dit que c’était une bonne idée. Et si on faisait de ce film un opéra ? Pour la scène de combat, j’ai regardé beaucoup de vieux opéras, des comédies musicales et des films chinois traditionnels. Il y avait de la fumée et des explosions et je voulais vraiment retrouver cette atmosphère. Zhao Li n’était pas en mesure de faire certaines chorégraphies donc on lui a trouvé un coach avec lequel elle s’est entraînée tous les jours pour améliorer ses performances physiques.

Pouvez-vous commenter le tableau de fin de votre film ?
Terminer un film est toujours complexe mais j’avais écrit cette scène en amont. Nous voulions, avec les acteurs, que le film se referme sur une comédie musicale. Je voulais qu’on sente que dutemps avait passé. C’est une transition vers le futur pour Dan Dan qui chante dorénavant dans desclubs. J’ai commencé le montage en Argentine et je suis revenu en hiver pour tourner cette dernière scène. J’espérais qu’entre temps, les rues auraient été démolies. Je voulais aussi voir comment l’expérience du film avait changé Zhao Li. Au départ, j’avais imaginé une fin en apothéose avec des feux d’artifice mais on a opté pour une fin plus terre à terre, simple et élégante… à l’image des personnages.